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Douce vengeance et autre sketches

+ d'infos sur le texte de Hanokh Levin traduit par Laurence Sendrowicz
mise en scène Galin Stoev

: Douce vengeance et autres sketches

par Galin Stoev, metteur en scène

Cabaret ou théâtre ?
Nous utilisons pour ce spectacle des sketches tirés de différents cabarets écrits et mis en scène par Hanokh Levin au fil de sa carrière. Mais si le contexte de ces sketches est bien le cabaret, le fait de les réorganiser différemment produit une chose qui ne ressemble au cabaret que de loin, du moins qui n’en a pas la forme. Ce que nous avons gardé de Levin, ce sont les formes brèves, et justement, le caractère bref de ces sketches permet d’avoir une vision concentrée, rapide, de thèmes qui, ici, rencontrent leur dimension physique. Plus que de sketches, au fond, je pense qu’il s’agit de courts rituels qui prennent appui sur des sujet extrêmement quotidiens ; ce sont des situations qui, au fur et à mesure du spectacle, s’imbriquent les unes dans les autres, puis se décomposent, avant de se reformer autrement, dans un autre rituel, une autre petite histoire de la vie de tous les jours, puis se re-décomposent, etc. Mais quand on suit la structure interne de ces rituels, les tensions qu’ils établissent entre eux, au-delà de la banalité des mots ou de leur caractère trivial, on se rend compte que ces histoires de la vie quotidienne résonnent, vibrent dans un espace parfaitement métaphysique, existentiel ou philosophique. On pourrait donc presque dire qu’il s’agit d’un cabaret bien déguisé en parfaite pièce de théâtre contemporain.


La métaphysique du quotidien ou : Dieu est là, mais il est passé à autre chose.
Le théâtre de Levin parle de l’absence de Dieu, même si on ne peut pas résumer les choses en si peu de mots. Son intérêt, c’est qu’il tourne autour de la condition de l’homme, et que rien, absolument rien ne peut justifier le fait qu’il doive souffrir sur terre, affronter des désastres, ni des raisons idéologiques, ni Dieu. Et ce que Levin expérimente avec ses personnages si insignifiants, si petits, si banals, c’est l’absolu nécessité, le profond désir d’être heureux, d’avoir des rêves et d’être satisfait. Or le fossé est énorme entre nos petites vies insignifiantes et nos grands rêves. L’impossibilité de réconcilier ces deux extrêmes produit une situation tragique, qui est, paradoxalement, la base même du rire que provoquent ces situations. Pour le public, c’est comme être sur des montagnes russes, il est partagé entre l’effroi et l’hilarité. Et si ce mécanisme réussit si bien, c’est justement parce que la forme utilisée par Levin est celle du sketch. À la première lecture, les histoires semblent souvent purement anecdotiques, mais quand on commence à les creuser, et à se pencher sur la façon dont cette structure évolue, on se rend compte que la forme « sketch » pourrait aisément se transformer en haïku, une autre forme brève qui en apparence ne dit rien du tout, mais qui en même temps raconte tout. En jouant sans arrêt avec les côtés cachés de ces tous petits objets, on suscite la curiosité du spectateur, on crée du théâtre, pour lui, mais aussi pour l’acteur et le metteur en scène. Il ne s’agit pas seulement de raconter une histoire pour divertir le public, même si cela en a l’air ; derrière cela, il y a toutes sortes de « pièges ».


Un auteur israélien, un metteur en scène bulgare et des acteurs français.
Travailler avec les acteurs du Français est une vraie bénédiction, mais l’aspect le plus difficile de la relation qu’entretiennent des acteurs – et des metteurs en scène – avec les sketches de Levin est de trouver la fréquence et le « ton » justes, ceux avec lesquels on peut traverser tout le texte, le jouer. Le plus difficile est de saisir à partir de quel endroit il faut jouer. Au début, nous étions tous absolument séduits par le côté anecdotique de ces histoires, mais nous avons rapidement réalisé qu’il ne fallait pas seulement que nous nous occupions des mots, mais aussi de la structure du texte.


Il faut maîtriser l’architecture de cette écriture, qui justifie la présence et la place des répliques, les révèle. Si les acteurs se concentrent sur les situations à jouer, et non sur leurs personnages, ces situations s’ouvrent et offrent, soudain, toute une gamme de possibilité de jeu. Ce que nous réalisons tous, c’est que nous devons être extrêmement « là » pour amener ces situations à leur dimension la plus « impitoyable », avant de les offrir aux spectateurs pour qu’ils puissent les faire résonner en eux de la façon qui leur est la plus proche. D’une certaine manière, donc, nous allons vers une forme assez indéfinie d’un côté, mais pleine de points d’appui de jeu pour les acteurs, qui déverrouille toutes sortes d’associations. Du point de vue visuel, nous sommes face à un objet assez hybride de gens en train de s’espionner mutuellement, comme dans le film allemand La Vie des autres, et d’une bande de touristes égarés dans un pays inconnu. Ce sur quoi nous travaillons, en fait, n’est pas la recherche d’un fil qui expliquerait qui sont ces gens et ce qu’ils font là, tous ensemble – cela, nous y renonçons, de même que nous renonçons au modèle du cabaret où un acteur endosse plusieurs personnages au cours du spectacle – ce que nous voudrions, c’est établir un espace à la fois concret mais pas entièrement défini à l’intérieur duquel tous ces petits rituels pourraient prendre place, se construire, se déconstruire, et se reconstruire, tel que je l’expliquais plus haut, mais sans qu’il y ait besoin d’expliquer les choses plus que nécessaire. Donc, pas d’histoire linéaire à laquelle chaque personnage serait connecté, mais en même temps, une logique dans leur présence sur le plateau.


Galin Stoev, février 2008
propos recueillis par Laurent Muhleisen, conseiller littéraire de la Comédie-Française

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