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Que viennent les Barbares

mise en scène Myriam Marzouki

: Genèse

Note d'intention par Myriam Marzouki

Ce qui nous regarde, créé en 2016, abordait les regards portés en France sur le voile et les femmes qui le portent, et c’est une fois le spectacle achevé que j’ai compris quelque chose : au-delà du voile en tant que tel, de sa dimension religieuse, du symbole d’oppression qu’il représente pour beaucoup, de l’injure qu’il fait à de nombreuses féministes, ce qui finalement ne va pas de soi, c’est de voir une femme voilée en France et de se dire, sans hésitation aucune : cette femme est Française. Ce qui résiste en chacun, quoi qu’on en dise, c’est un jugement spontané, dans lequel se mêlent la mémoire individuelle et collective, les récits, les pratiques invisibles du quotidien, ainsi que des mythes collectifs puissants. Et ce qu’on peut dire de la femme voilée, on pourrait le dire d’une femme noire, d’un homme basané, d’une personne asiatique et de bien d’autres encore : il y a un imaginaire inconscient qui ne les fait pas entrer, sans doutes ni questions, dans la « carte postale française ».


La société française a toujours été constituée de citoyens aux origines diverses. Aujourd’hui, les appartenances et les apparences multiples de millions de Français sont en grande partie héritées de l’expérience coloniale et des questions nouvelles sont apparues. Des strates et des noeuds de difficultés surgissent, des tensions et des peurs s’expriment, des souffrances diverses et antagonistes se manifestent, parfois dans la violence.


Cette situation n’a rien de spécifiquement français car presque partout dans le monde les êtres humains doivent faire le deuil d’une réalité — qu’elle ait existé ou non — à jamais révolue, devenue moteur à fantasmes et rêveries nostalgiques : vivre auprès de ceux qui nous ressemblent en tous points.


Dans notre pays, de nombreux citoyens, bien que nés en France, ne se sentent pas vraiment Français parce qu’ils ne sont pas perçus comme tels. Le débat politique et médiatique voudrait nous imposer la question : Qu’est-ce qu’être Français ? Qu’est-ce que l’identité nationale ? Il m’a semblé plus pertinent de changer de perspective, de cadrer ce questionnement autrement : qui est perçu comme Autre, irréductiblement décalé du « nous » national ? Et cette image de soi, cette surface de l’apparence que nul ne choisit, à quoi renvoie-t-elle ? À quelle altérité ? À quelle peur ? À quelles histoires ? Cette réalité complexe a été le thème de départ du spectacle.


La difficulté à vivre dans une société dont tous les membres n’ont pas la même couleur de peau, ne paraissent pas avoir les mêmes origines, est pour l’essentiel liée à ce qui échappe à l’intelligence et à la raison, elle s’enracine dans les imaginaires individuels et collectifs, dans les affects, elle se traduit par des réflexes de la parole et des réactions du corps, elle se trahit par des peurs et des projections fantasmatiques.


C’est à cet endroit de l’imaginaire et même de l’inconscient qu’a surgi la figure du barbare, qui permet au groupe de se définir, d’affirmer son identité : avec le barbare, les enjeux du présent rejoignent les mythes. En cela, le spectacle rejoint mon travail sur les imaginaires contemporains dans lesquels s’entrelacent la réalité vécue au présent et la mémoire du passé. Il s’inscrit dans un désir de tenter, avec les modestes et formidables moyens de la scène, la lutte contre l’immense machine à fabriquer des représentations que sont les médias dominants.

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