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Quartett

mise en scène Célie Pauthe

: A propos du dispositif de jeu

La machine panoptique

Une peur a hanté la seconde moitié du dix-huitième siècle : c'est l'espace sombre, l'écran d'obscurité qui fait obstacle à l'entière visibilité des choses, des gens, des vérités...


On connaît le principe architectural du panoptique que l'économiste Jeremy Bentham invente en 1786 : à la périphérie un bâtiment en anneau ; au centre, une tour ; celle-ci est percée de larges fenêtres qui ouvrent sur la face intérieure de l'anneau ; le bâtiment périphérique est divisé en cellules, dont chacune traverse toute l'épaisseur du bâtiment, ce qui permet à la lumière de traverser les cellules de part en part. Il suffit alors de placer un surveillant dans la tour centrale, et dans chaque cellule d'enfermer un prisonnier... Le dispositif panoptique aménage des unités spatiales qui permettent de voir sans arrêt et de reconnaître aussitôt. En somme, on inverse le principe du cachot ; ou plutôt de ses trois fonctions - enfermer, priver de lumière et cacher - on ne garde que la première et on supprime les deux autres. La pleine lumière et le regard d'un surveillant captent mieux que l'ombre, qui finalement protégeait. La visibilité est un piège...


Si la société s'est intéressée au projet du Panoptique de Bentham, c'est qu'il donnait, applicable à bien des domaines différents, la formule d'un pouvoir par transparence, d'un assujettissement par mise en lumière. Ce sont les places sombres dans l'homme que veut voir disparaître ce Siècle des lumières...


Dans le panoptique, pas besoin d'armes, de violences physiques, de contraintes matérielles. Mais un regard. Un regard qui surveille et que chacun, en le sentant peser sur lui, finira par intérioriser au point de s'observer lui-même ; chacun ainsi, exercera cette surveillance sur et contre lui-même...


Notre société n'est pas celle du spectacle, mais de la surveillance ; sous la surface des images, on investit les corps en profondeur ; derrière la grande abstraction de l'échange, se poursuit le dressage minutieux et concret des forces utiles... Nous sommes bien moins grecs que nous ne le croyons. Nous ne sommes ni sur les gradins, ni sur la scène, mais dans la machine panoptique, investis par ses effets de pouvoir que nous reconduisons nous-mêmes puisque nous en sommes un rouage.


MICHEL FOUCAULT
Extraits de « L'œil du pouvoir », in Le Panoptique de Jeremy Bentham, Belfond, 1977 ; et de Surveiller et punir, Gallimard, 1975

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