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Quartett

mise en scène Célie Pauthe

: Propos du metteur en scène

« Chaque être humain est un abîme.
On a le vertige quand on essaie d'y voir. »
Georg Büchner, Woyzeck



C’est en « cannibale mangeur de classiques » que Müller s’attaque aux Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos (1784), fouillant les figures de Merteuil et Valmont, héros noirs émergés du temps des Lumières. Se jouant des fantasmes les plus décadents, de l’érotisme morbide de ces deux aristocrates en bout de course, on pourrait dire qu’il en extrait, sur un mode ironique, un squelette possible des relations entre les sexes. L’amour s’y désosse à loisir. Morceau d’intimité à cœur ouvert. « Je ravage le champ de bataille que fut mon foyer. » (Hamlet-Machine)


Deux êtres de sexe opposé se livrent une guerre sans limite, sous forme de dernière parade amoureuse. Entre Merteuil et Valmont, il n’y a plus de zones d’ombre. Il n’y a plus rien à cacher. Ils savent tout l’un de l’autre. Et sans doute un peu plus. En cela, je lis Quartett comme une très belle et lucide tragédie du désir. Tout a été vécu, digéré. « Je suis un manuel de conversation à l’agonie » (Valmont)


Se situant « au-dessus de l’amour », ils le traitent en physiologistes éclairés, entraînant leur propre corps à un contrôle serré. L’humain y est cerné de part en part. Cette surveillance exercée sur soi-même, sur l’intime le plus enfoui, cette dissection froide, analytique, de la mécanique amoureuse, pénètre, infiltre des zones où le sexe, le pouvoir et la mort se mélangent, dans la plus grande et cinglante élégance…


Nous immergeant à notre tour dans le dix-huitième siècle des Liaisons dangereuses, nous nous sommes inspirés des projets disciplinaires qu’invente la société des Lumières. Les « prisons modèles » qui apparaissent au tournant du siècle ne maintiennent plus le corps caché et privé de lumière mais au contraire le soumettent à être constamment visible. Torture moins spectaculaire mais beaucoup plus insidieuse, mentale. C’est la visibilité même qui devient un piège. L’intimité appartient au corps public.


Réduits à leur seule et indéfectible compagnie, Merteuil et Valmont se rendront, sur le plateau, prisonniers d’un dispositif fictif, se donnant l’illusion de se piéger l’un l’autre, de se maintenir sous surveillance.
Un espace sans ombre et sans repli, où il n’y a pas d’alternative au regard de l’autre sur soi. Un piège à découvert, d’une clarté aveuglante. Blanc, jusqu’au vertige. «Il demeure dans l’idée de blancheur un élément secret de terreur, caché au plus intime de la chose, qui précipite l’âme à de plus grandes épouvantes que la pourpre effrayante du sang. »
MELVILLE - MobyDick

CELIE PAUTHE

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