theatre-contemporain.net artcena.fr


: Le Spectacle

Un plancher à ciel ouvert pour les Fêtes nocturnes du Château de Grignan, ou bien dans le vide d’une cage de scène nue, bourré de trappes et de chausse-trappes : Il est tour à tour le désert domestique qu’arpentent Léonie et Toudoux, le lit trop grand d’Yvonne ou l’immense bureau de l’ingénieur Follavoine ; c’est un purgatoire où Feydeau luimême précipite ses couples tombés depuis belle lurette de l’Eden dans l’enfer de la marmite conjugale. Pour mieux les tourmenter, nous faire rire et frémir, il se déguise et entre dans le jeu, il incarne sous les traits d’une accoucheuse diabolique, puis d’un domestique lugubre ou d’un mioche tyrannique les avatars d’un fatum minuscule tombant à point pour affoler les consciences hébétées de maris et d’épouses tétanisés.
S’ils nous font rire ces lointains ancêtres déchus d’Adam et Eve, ce n’est pas tant qu’ils sont bêtes, égoïstes et vulgaires, c’est que les folles péripéties de leurs existences ordinaires les mettent littéralement hors d’eux-mêmes : la grossesse de Léonie, la solitude d’Yvonne, l’angoisse maternelle hypertrophiée de Julie sont autant de prétextes à guerroyer l’autre, le mari, enfermé dans le conformisme et les faux-semblants d’une ambition dérisoire.
Strict contemporain de Strindberg, Feydeau fait farce d’un tragique malentendu et d’une guerre sans fin entre les sexes ; s’il avait écrit La danse de mort, il nous aurait fait rire, il écrit Feu la mère de Madame et la mort devient une farce. Saluons son génie d’un théâtre où seule l’énergie du jeu fait sens, nous ne le représenterons pas comme le plaisant ethnologue de la bêtise et du conformisme bourgeois mais plutôt comme le magicien facétieux d’un théâtre conjugal épique et absurde, aussi drolatique qu’amer dans la forme qu’il nous propose.
Le projet sera porté au théâtre par une troupe – 7 comédiennes et comédiens – dont certains m’accompagnent depuis longtemps dans mon parcours artistique. Ils incarneront les trois couples dans Léonie est en avance, Feu la mère de madame, On purge bébé, ainsi que les personnages qui les entourent, domestiques, parents... Feydeau, diabolique et retors, sera interprété par un seul comédien. Il apparaîtra dans chacune des trois pièces sous les traits des trois personnages qui viennent affoler la mécanique conjugale, madame Virtuel, le valet Joseph et Toto, l’enfant terrible. C’est une sorte de Prospéro farceur à l’imaginaire ingénieux, complice du public qui le voit agir pour perturber les esprits et les corps.
Pas de portes qui claquent, de canapés ni de boudoirs, simplement un grand tréteau nocturne sur lequel se jouent et se rejouent les variations cruelles et drolatiques de la vie maritale.

Didier Bezace

novembre 2014

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.