C'est la difficulté de notre génération à s'engager politiquement ou, du moins à mener une action politique positive – alors que le désir est bien souvent là – qui nous a posé question.
C'est comme si toute grande aspiration était immédiatement contrecarrée par les sacrifices que requerraient la mise en œuvre du projet politique qui pourrait la porter. Comme si le risque que nécessite toute action politique d'envergure était désormais devenu inacceptable. Comme si le jeu de la politique lui-même était devenu suspect. Comme si la politique, avec ses luttes, ses compromis et ses arrangements, nous paraissait « sale ». Comme si nous pouvions laisser ce « sale boulot » à des gestionnaires professionnels chargés d'administrer notre société en obéissant à des « critères rationnels ». Comme si nous étions ces enfants qui ne veulent pas grandir et se bouchent les yeux le plus longtemps possible pour ne pas découvrir les mensonges de leurs parents.

Et pourtant, il n'y a encore pas si longtemps, même le militant de base était rompu à la lutte et savait repérer les conflits d'intérêts. La discipline et la stratégie étaient encore des composantes importantes du débat politique, sans que cela ne soit honteux.
Mais la garantie des droits individuels est arrivée à un tel stade de développement dans nos démocraties qu'il est désormais difficile d'imaginer une place pour de grandes aspirations collectives. Le prix à payer pour la liberté et la sécurité serait-il la résignation ?
Il faudrait pouvoir à nouveau vivre dangereusement, ou du moins assumer notre part du risque...

Notre premier désir était donc de construire une pièce politique. Et le second, qui découle immédiatement du premier, celui d'éviter à tout prix la pièce à thèse.
Non pas un théâtre qui démontrerait la validité d'une idée politique, mais un théâtre qui fait de son centre le jeu politique, qui montre le jeu de la politique à l'œuvre... Non pas un théâtre politique mais un théâtre de la politique. Un théâtre pour essayer de « lutter contre notre inadmissible désir de renoncement1».