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Prometéo

+ d'infos sur le texte de Rodrigo García
mise en scène François Berreur

: Entretien réalisé en février 2002 pour le dossier de presse du Festival d'Avignon

Entretien avec François Berreur et Joëlle Gayot

Rodrigo García est l'auteur de plusieurs pièces. Vous avez choisi de créer Prometeo, qui figure parmi ses premiers écrits. Pourquoi ?


J'envisage depuis trois ans de travailler sur Prometeo. J'y pensais déjà lorsque je mettais en scène Voyage à La Haye de Jean-Luc Lagarce. À l'origine, je voulais faire un diptyque Le Cid - Prometeo. Deux textes qui tournent autour de la notion du héros et du sacrifice. À ceci près qu'ils décrivent des trajectoires opposées. Dans le Cid, le personnage ne revendique pas le fait d'être un héros aux yeux des autres, il ne veut pas assumer cette position. Dans Prometeo, le héros, c'est-à-dire le boxeur, choisit le sacrifice.
Et puis, le temps a passé, j'ai créé d'autres pièces. Mais je m'aperçois aujourd'hui qu'il y a des échos, des résonances entre Lagarce et García. Par exemple, l'image d'un homme qui revient dans sa famille ou qui cherche à lui échapper.
Ceci dit, si j'ai tendance, dans mes choix de mise en scène, à me fier à mes intuitions, qui sont inexplicables, secrètes, ce ne sont pas elles néanmoins qui déterminent ma volonté de mettre en scène. Je fais du théâtre, avant tout, pour confronter des textes au plateau, pour en vérifier et en dégager la théâtralité. Mon désir est de faire entendre l'écriture, le monde d'un poète, pas mon univers à moi.


Quel est donc, selon vous, l'univers développé par Rodrigo García, dans Prometeo ?


Avant tout, il faut préciser que Prometeo n'est absolument pas une adaptation d'Eschyle.
Rodrigo García part des bribes de notre connaissance du mythe et il rêve autour du sort de Prométhée.
Rodrigo m'a dit récemment que c'est la lecture de la biographie de Kid Chocolate qui est à l'origine de la pièce. Il y a une figure centrale : c'est le boxeur. Il sera interprété par Marcial Di Fonzo Bo. La pièce démarre par lui, sur une situation concrète, dont elle se dégage très vite pour aller vers des zones plus poétiques. Le boxeur pose des questions fondamentales. Il offre son corps, en sacrifice. Sa passion se situe dans le combat. La passion de Prométhée, c'était sa volonté d'apporter le feu aux hommes, et, au-delà, la connaissance, les arts. Cela me permet de rebondir sur d'autres questions, de retrouver l'idée de l'acteur. Pourquoi y a-t-il encore des comédiens sur des planches, pourquoi fait-on encore du théâtre ?
Je pense, pour ma part, que le théâtre sera un des grands arts du XXIe siècle. Et la pièce de Rodrigo parle de ça. Un homme, qu'on appelle acteur, monte sur un plateau. Il parle et s'adresse à des gens qui l'écoutent et sont émus de ce qu'ils entendent. Qu'est-ce qui génère cette émotion ? C'est l'essence même du geste artistique qui est mise en jeu.


C'est aussi un texte qui parle du corps, qui le met en représentation ?


Il évoque aussi la fascination qu'on éprouve pour le corps. Le corps se donne à voir. Derrière, c'est la notion de désir qui affleure. Un désir qui est celui des spectateurs, comme celui des autres personnages, et qui tourne autour du boxeur.


Ce boxeur est la figure du martyr, du supplicié ?


Le regard des autres le dessine et le définit. Je pense que ce qui est vécu à l'intérieur du corps ne correspond pas forcément à la perception qu'on en a à l'extérieur et j'aimerais creuser cette ambiguïté. Comme saint Sébastien, le boxeur paraît souffrir. Mais souffre-t-il réellement ?
Souffre-t-il tant que ça ? Le mélange du plaisir et de la souffrance ne dépend que de la part que chacun y met. Rodrigo García ne tranche pas. Il n'écrase pas les sens, il les ouvre. Rien n'est arrêté. L'auteur laisse les possibles s'exprimer. Il s'adresse au sensible et je voudrais restituer cette incertitude sur le plateau.


Comment appréhendez-vous la parole de Rodrigo García, qui, dans ce texte, s'apparente à un flux assez magmatique ?


J'aime, chez lui, l'élaboration de la parole. Rodrigo écrit des textes qui ne sont pas toujours distribués. J'ai donc réparti la parole entre les personnages. A plusieurs reprises, j'ai dû faire un travail de distribution des répliques entre les comédiens. Nous verrons, sur le plateau, si mes choix résistent ou s'il faut modifier ces agencements. Cela étant, je ne trouve pas cette parole si magmatique. Elle a une logique interne que je tente de dégager. C'est l'intérêt de la mise en scène. Nous ne sommes pas, avec Prometeo, face à un théâtre anecdotique ou psychologique. Il y a une vraie " nécessité " de plateau.


Comment définiriez-vous la spécificité de Rodrigo García, aujourd'hui, sa place dans l'écriture contemporaine ?


À leur époque, Lagarce et Koltès, ont intégré à leur écriture et leur narration, la télévision et le cinéma. Rodrigo García prend en compte l'art contemporain. Il écrit un texte qui traverse toute l'histoire de l'art des deux millénaires passés. La pièce se réfère à la peinture religieuse et aux différentes représentations de la figure de saint Sébastien. C'est unique et extraordinaire.


Vous avez choisi des comédiens aux personnalités très fortes, Marcial Di Fonzo Bo, Mireille Herbstmeyer, Mohamed Rouabhi, Agnès Sourdillon. Il va falloir composer avec la présence de chacun ?


Ce sont des acteurs qui " dégagent " ! Je leur amène une dramaturgie sur laquelle ils peuvent s'appuyer pour jouer. Mais avec ce texte, on est dans l'universel, pas dans une logique anecdotique. J'ai donc voulu des comédiens qui sont eux-mêmes dans le mythe.
J'ai pensé à Marcial Di Fonzo Bo immédiatement. Il devait faire le boxeur, c'était une évidence. D'ailleurs, je n'ai jamais imaginé qu'un autre pouvait jouer le rôle à sa place. Je sais que lui, et les autres acteurs, vont amener avec eux, sur scène, ce quelque chose, dont, moi, metteur en scène, je n'aurais pas à m'occuper. Parce qu'ils l'ont en eux. Agnès Sourdillon est la fragilité et la solidité, aérienne et terrienne. Mireille Herbstmeyer est la femme, avec un grand F. Mohamed Rouabhi est l'ami, l'auteur, le metteur en scène. Avec eux, sur le plateau, on sera face à un choc. Le choc de plusieurs mondes.
Les acteurs sont essentiels. Ce sont eux qui font mes spectacles. Pas moi. Je fais du théâtre grâce à eux et pour eux. Leur corps m'intéresse presque plus que le texte. Lorsque je mets en scène, je suis à la quête de l'univers de l'auteur qui reste une inconnue. Je n'arrive pas avec un à priori, une connaissance préalable de ce que raconte la pièce. Tout ça se révèle, dans le travail. Et mon travail, c'est de créer un espace dans lequel les acteurs peuvent vivre.


Est-ce qu'on peut dire de Prometeo que c'est une tragédie ?


Même si le boxeur est un personnage en errance, même s'il semble être dans la damnation, ce n'est pas vraiment une tragédie. Il y a de la violence, mais le spectacle ne sera pas sanglant ou sanguinolent. Il n'y a pas mort d'homme.
Prometeo est un texte à part dans la dramaturgie de Rodrigo García. Il est brut. Tout l'univers de Rodrigo est contenu à l'intérieur : l'ennui, l'enfance, la vie dont il faut s'emparer. Rodrigo ne triche pas. Il s'engage absolument lorsqu'il écrit. Il fait les choses à fond. Il s'agit, lorsqu'on le met en scène, de rendre lisible ses obsessions, de pointer les indices. De redonner du liant, là où il n'existe pas de structure narrative. J'ai découpé le texte en 7 séquences, et 7 pauses, comme sur un combat de boxe, quand il y a les rounds. La poésie qui est là, dans cette matière brute, prendra du relief lors des représentations.
Et puis, j'aime, chez Rodrigo García, le rapport au temps, cette diffraction du temps. L'éternité évoquée avec Prométhée, rivé pour toujours à son rocher. Et l'aspect cyclique de la pièce : tout se déroule en sept jours. Sept jours durant lesquels les autres cherchent à faire tomber le boxeur, à provoquer sa chute. Les autres, ce sont les dieux, mais aussi l'amour, la haine.
L'amour fragilise et peut faire vaciller n'importe qui. Tout l'enjeu de la pièce est là : le boxeur doit rester debout.



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Joëlle Gayot

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