: Traduire sans trahir
Traduire Calderón de la Barca, c’est affronter une puissance, une puissance conceptuelle, dramaturgique,
poétique, devant laquelle on se sent peu de chose. Le philosophe se double d’un théologien, le dramaturge
est architecte, le poète change de mètres et convoque tous les rythmes possibles du discours pour
marquer un changement d’atmosphère, d’état d’âme, utilisant aussi bien les variations infimes.
Car son génie – genio, en espagnol, signifie aussi caractère – est d’une ingéniosité sans pareille.
En traduisant, j’ai tenté de ne pas privilégier le penseur au détriment du poète, et vice versa. J’ai pourtant
desserré un peu les vis du raisonnement, disons préféré le vitrail à l’armature. Comme tout ancien
élève des jésuites, Calderón se fait un malin plaisir de prouver qu’elle est en fer ! Le poète privilégie le
vers espagnol le plus populaire, le vers du Romancero, l’octosyllabe, mais il affectionne aussi le noble
endécasyllabe. J’ai toujours essayé de donner la sensation des vers, de suivre leur rythme sinon leurs
assonances : quand le Roi ou la Beauté s’exprime en sonnet, de faire entendre la forme sonnet, quand la
Mort et le Péché s’insultent en vers accentués sur la dernière syllabe (auxquels Calderón a recours quand
il veut faire peur), de trouver des mots aigus, durs, des oxytons.
À parler franchement, ma passion pour cet écrivain depuis l’adolescence n’est pas due à la beauté de ses vers ni à la puissance de sa pensée. Elle vient de ses images dramatiques qui se sont gravées en moi et ont fini par incarner le théâtre même. Sa façon de résumer et de rendre visibles les conflits les plus abstraits – tel le désaccord entre le Corps et l’Âme, l’appétit physique et l’appétit spirituel, l’horizontal et le vertical – est inoubliable.
En voici par exemple « une image dramatique » qui n’appartient à aucun des actes sacramentels aujourd’hui représentés : deux galants se battent en duel, aucun n’a le dessus, alors ils se séparent. Au moment de se séparer, ils reprennent leurs capes, mais ils se trompent et chacun repart dans le monde avec la cape de l’autre… Ces galants ont pour nom le Bien et le Mal.
Florence Delay de l’Académie française
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