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Place des Héros

+ d'infos sur le texte de Thomas Bernhard traduit par Claude Porcell
mise en scène Arthur Nauzyciel

: à propos de la pièce

Joël Huthwohl

À propos de la création de Place des Héros
au Burgtheater de Vienne en 1988.
par Joël Huthwohl


Le théâtre impérial, le Burgtheater, était pour le Viennois, pour l’Autrichien, plus qu’une simple scène où les acteurs jouaient des pièces ; c’était le microcosme reflétant le macrocosme, le miroir où la société contemplait son image bigarrée ». Ce que Stefan Zweig disait dans Le Monde d’hier, on pourrait encore le dire du monde d’aujourd’hui. Plus encore que la Comédie-Française, avec qui il partage l’honneur d’être un des théâtres les plus anciens d’Europe, le Burgtheater, avec son emplacement au cœur de la capitale viennoise, près de l’ancien palais impérial, avec sa troupe permanente de plus de cent acteurs, se situe au cœur de la vie culturelle autrichienne. Dans cette salle, à proximité de Heldenplatz, la place des Héros, autour de laquelle se dressent les principaux bâtiments officiels de la ville, lieu de toutes les manifestations de la vie politique autrichienne, eut lieu la première de la pièce de Thomas Bernhard le 4 novembre 1988.


Cent ans après l’installation du Burgtheater dans un nouvel édifice, cinquante ans après l’Anschluss, l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne hitlérienne, acclamée par la foule rassemblée place des Héros, quarante ans après la fondation de la République autrichienne, de nombreuses célébrations furent organisées, obligeant le pays à se pencher sur son passé. L’élection récente de Kurt Waldheim à la présidence de la République et les révélations sur son attitude pendant la Seconde Guerre mondiale aiguisaient encore les consciences. Claus Peymann, alors directeur du Burgtheater, metteur en scène favori et indéfectible soutien de Thomas Bernhard, lui commande une pièce pour marquer dans le cadre de ces commémorations, peut-être avec cette formule : « écrivez-nous une pièce de ce théâtre universel/qui mette en pièces le Burgtheater/une vraie farce universelle grandiose Bernhard/qui fasse exploser le Burgtheater/à faire trembler toute la ville de Vienne », fait dire à Peymann, Bernhard dans un de ces Dramuscules.


Place des Héros eut en effet un retentissement incroyable à Vienne, en Autriche et en Europe. Durant les répétitions, malgré les strictes recommandations de Peymann, des extraits du texte avaient circulé dans la presse. La violence des attaques contre l’Etat autrichien et l’antisémitisme supposé des habitants provoqua des remous considérables. Les adversaires de Bernhard, excédés par le miroir que renvoyait la pièce, demandèrent au président Waldheim de licencier Peymann. Cependant la première eut lieu devant un public divisé et bruyant. À la fin du spectacle, en présence de Thomas Bernhard monté sur le plateau, les ovations couvrirent les invectives, quarante minutes durant. « Quand les gens montent sur la scène du Burgtheater/ il s’imaginent/ qu’ils sont quelque chose », dit le professeur Robert dans la pièce. Nul ne sait ce que pensait Bernhard face aux applaudissements, mais il est certain qu’il était au cœur du « microcosme reflétant le macrocosme », qu’il resplendissait comme le « point d’optique » où convergeaient tous les regards.


Quelques mois plus tard, le 12 février 1989, Thomas Bernhard mourait à Gmunden en Haute-Autriche.


Joël Huthwohl Conservateur-archiviste de la Comédie-Française

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