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Pinocchio le Bruissant

mise en scène Pietro Varrasso

: Quelques repères pour une mise en scène

Considérations générales


Je ne détermine plus de plan de mise en scène. Je travaille à partir de points d'appuis, de structures très larges ou de cadres généraux. Je me prépare le plus possible et c'est ensuite l'ici et maintenant du processus de répétition qui devient déterminant et accueille les découvertes et l'inattendu. Je me considère de plus en plus comme un stimulateur et coordinateur de la créativité de chaque individu d'une équipe de création. Il se peut que le travail avec tel ou tel acteur par exemple fasse bouger considérablement le projet initial. Les lignes qui suivent ne sont donc que des points de départ!


Je veux éloigner Pinocchio le plus possible du réel contemporain, aucune actualisation, juste l'inverse. Je veux remonter le temps, envoyer l'esprit du spectateur vers ce moment de l'humanité où l'intelligence de la pensée magique dominait. Je veux terroriser le spectateur, je veux qu'il revive la peur de la dévoration, la peur du noir et de l'éclair. Je veux qu'il voyage dans le réconfort de la chaleur de la chair, du feu et de la lumière.


Mettre en scène ce Pinocchio c'est mettre en scène un processus qui tient compte d'un va et vient entre ordre et désordre, entre chaos et structure. C'est partir de ce qui habite le personnage du pantin, des glissements entre pulsionnel et contrôle. Ce simple point de vue de jeu doit contaminer tous les autres éléments scéniques: lumières, espace, sonorités, objets, musiques, actions,…


Métamorphoses


Je vois cette mise en scène comme un cycle fluide de métamorphoses dont le pantin est la principale incarnation. Il est agi par le vivant. Il est vivant! "Les aventures de Pinocchio" reflètent ce principe fondamental du vivant, lui donne formes. Le spectateur pourrait ainsi assister à des cycles de morts/ naissances. Faire mourir un chant pour donner vie à la parole. Faire mourir une figure humaine pour laisser naître une figure animale ou hybride. Le jour meurt et donne vie à la nuit, l'hiver meurt et donne vie au printemps. Celui que j'étais il y a une heure est mort et celui que je suis maintenant est né et mourra dans un instant. Faire mourir l'immobilité afin de donner la vie au mouvement. Le silence meurt et engendre le chuchotement, le gargouillis puis l'éclat sonore. Comment faire ressentir que tout est gorgé de vie interdépendante et instable? Ceci est ma préoccupation centrale et générale!


Le grand bouillon originel!


Un très grand espace qui puisse suggérer "quelque chose" comme un grand atelier. Un endroit où sont présents des matériaux, des objets, de la matière. Tout ou quasiment tout ce dont la représentation aura besoin doit être présent dès le début. Tous ces éléments, y compris les acteurs et leurs personnages, devront naître, muter, se combiner, se recombiner, troquer leurs éléments, etc. Atelier. De menuiserie, de peintre, de sculpteur, d'alchimiste loufoque,…


Figures plutôt que personnages.


Nous ferons émerger des acteurs un jeu d'une grande dimension, par conséquent nous créerons de grandes figures "mythiques". Des forces plutôt que des personnages. Peu ou pas de psychologie mais présence, radiations, vibrations. Pas du texte mais du verbe, incarné, vibrant. Des voix vivantes dans des corps vivants dans un univers vivant. Un travail spécifique sera mené avec toute l'équipe durant les trois premières semaines d'avril essentiellement sur la recherche, la définition de ces êtres de "grande dimension" et leurs motivations.


EXEMPLES :

  • Le chat est quasiment privé de la parole, mais il est véritablement la déification du plaisir de la mise à mort, de l'assassinat.
  • Maître Cerise et Geppetto pourraient bien être le lieu d'un croisement entre une divinité et un métier à l'instar d'Héphaïstos, le divin forgeron boiteux et poussif, inventeur et créateur d'objets magiques dans la mythologie grecque.
  • Mangefeu, le montreur de marionnettes, substitut paternel pourrait être construit à partir de la dignité virile paternelle pileuse.
  • La fée sera au moins deux personnes, deux actrices de natures différentes qui tantôt ne feront qu'une, tantôt agiront distinctement ou en duo dissonant et contrasté.
  • Pinocchio sera lui aussi habité d'une dualité. Il y a deux directions en lui : l'aspect Pinocchio et l'aspect Dionysos (ce que dans l'adaptation nous appelons "la voix de la buche"). Il sera agi, influencé par Dionysos en lui, avec une autre voix, un tempo- rythme distinct, créant ainsi une forte dynamique de jeu et concrétisant l'incarnation du pulsionnel.
  • Le Chat et le Renard, derrière le paravent du malchanceux couple de malfaiteurs pourraient faire suinter les figures de prêtres déchus d'un vieux culte païens, faire ressentir une motivation essentielle, primordiale: s'emparer du sperme de Pinocchio pour accomplir un rite de régénérescence de la nature. Mais cela ne doit pas être explicite, cela doit émaner, être mystérieux.
  • Le Grillon parlant, quant à lui, puisque assassiné joyeusement dès son entrée en jeu, deviendrait un esprit, un mort-vivant à l'instar de Lazare ou une entité gardienne des cimetières…

Oppositions et contrastes


Une double partition de jeux existera donc pour les personnages principaux: les acteurs devront assumer d'une part les évènements et anecdotes de la fable et de l'autre faire "émaner" ce que j'appelle l'ombre, les motivations archaïques cachées.


Je veux jouer d'un fort contraste entre ce traitement de la dimension du jeu des acteurs et la plupart des solutions scéniques.


Ces dernières puiseront dans l'arsenal de "la machinerie théâtrale" (trappe, toile, rideau, panneaux, cintres,… mais également dans l'univers enfantin, voire même dans le monde de l'illustration des livres pour enfants. Chaque séquence utilisera ses propres solutions. Nous ne chercherons pas forcément d'unité, d'homogénéité.


EXEMPLES :

  • Si nous avons besoin d'oreilles d'ânes, on peut les découper dans du carton (au moment où l'on en a besoin) et les "coller" sur la tête d'un acteur.
  • S'il est nécessaire de faire lever le soleil, un énorme projecteur adéquat sera hissé à vue par l'un ou l'autre personnage
  • Si j'ai besoin de l'océan, je peux reproduire sur une toile un dessin d'enfant ou utiliser une cinquantaine de seaux remplis d'eau dans lesquels les personnages marchent.
  • S'il faut suggérer la destruction, il me suffit de faire passer des branches dans un broyeur qui recrachera des copeaux sur la scène…
  • S'il faut faire parler une luciole, le rougeoiement incandescent d'une cigarette plongée dans le noir total et se déplaçant de manière adéquate fera l'affaire
  • Etc.

Bref, un jeu profondément incarné dans un univers de signes distanciés et ludiques


Inversions


  • Je vais faire subir au texte de Collodi une série d'inversions dont la principale sera l'inversion des figures négatives en figures "positives": les brigands, malfrats, vandales et autres personnages peu recommandables de cette histoire apparaissent avec des caractéristiques bien moins troubles, bien plus stables que les figures positives. Ces figures négatives produisent les cadres les plus fermes, les plus "utiles" à l'évolution de Pinocchio.
  • Pinocchio sera incarné par un acteur jeune mais ne correspondant en rien (au niveau de son image première) à la représentation que l'on attend de la célèbre marionnette. D'ailleurs son comportement scénique ne fera jamais allusion à la rigidité du pantin, bien au contraire nous travaillerons sur une profonde organicité et fluidité du corps. Dans le même ordre d'idée il n'y aura, dans son apparence, aucune référence visible ni au bois, ni au fameux long nez. Seuls les éléments textuels se chargeront de ces caractéristiques.
  • Les autres figures, par contre, seront plus alourdies, empêchées, encombrées. Par exemple le Chat et ne Renard ne feindront pas le handicap mais seront "réellement" diminués, accidentés physiquement, amputés. Geppetto sera inspiré par sa fixité finale dans les entrailles du requin,…

Choralité


  • Les différentes figures ou créatures seront toujours présentes sur scène, mais pas forcément toujours visibles. Peut-être "fondues" dans le paysage, bourgeonnant au moment désiré et ensuite réabsorbées par l'espace. Tous ces êtres émanent de Pinocchio. Toute cette mise en scène est en quelque sorte le rêve ou le cauchemar de Pinocchio. Tout se passe en lui.
  • Prises en charge chorale et dynamique de polyphonies méditerranéennes par les figures. Pas une choralité statique mais une dynamique "chants et actions."

Température/couleur/climat


  • Jusqu'à la pendaison de Pinocchio, nous sommes dans l'hiver, le sombre, le noir, le rougeoiement de la braise, l'âtre, la flammèche, l'obscur, l'opalin.
  • Dès la rencontre avec la fée nous passons dans la luminosité du marbre, le scintillement, la blancheur de la pierre tombale, la réverbération du plein soleil, les feux du cirque et de la fête foraine, les couleurs écoeurantes du carnaval…
  • Pour enfin retourner vers l'obscurité des profondeurs marines, l'épaisseur du sombre abyssal…

Volume et espace


Comment passer de l'intimé chaude du petit atelier alchimique, à l'immensité de l'océan en passant par des volumes intermédiaires (champs, bois, bosquet,…), sans apports figuratifs ? Comment utiliser le rapport entre la dimension réelle des humains/acteurs vis-à-vis de différents objets ou supports ? Il est important ici de pouvoir rendre compte de la "petitesse" humaine face à la très grande dimension de certains éléments de la nature: arbres, paysages, falaise, ciel, mer, etc.


Moments de pures perceptions pour le spectateur.


Moments essentiellement dévolus à percevoir un chant.


Moments dans le noir le plus complet : textes, sons de la forêt, sons précis d'un feu, ambiance nocturne en forêt, halètement et souffle d'un enfant en danger,...


Purs moments d'impacts visuels.


Comment perçoit l'enfant. Rappelons-nous ces incroyables focales de la perception d'où l'on nous faisait redescendre de la lune, ces moments centrifuges de l'enfance où nous pouvions être totalement absorbés par une forme, un mouvement que nous dévorions dans une avide immobilité. Comment faire ré-approcher le spectateur de ça?

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