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Pieds nus, traverser(z) mon coeur...

mise en scène Anne Artigau

: Note d'intention

C’est un spectacle en trois étapes ; un trajet de la peur à l’amour. La peur qui réduit le coeur et l’amour qui détruit la peur. L’Amour, le seul antidote qu’on ait trouvé à la peur. Parce que, un jour, en fouillant dans un tiroir de la commode du couloir dans l’appartement de ma mère, j’ai trouvé les brouillons de la lettre que ma grand-mère avait envoyée à Pétain pour lui demander d’intervenir afin de libérer son mari arrêté sur dénonciation par la gestapo pour faits de la résistance. La lettre de mon père, enfant, pour la même sollicitation. Les lettres d’adieux écrites, au crayon bleu, par mon grand-père avant d’être fusillé à la Citadelle de Besançon, «chère maman je t’aime, pardon», «ma petite femme courage, je t’aime, courage», «mon fils protège ma maman et ta maman, je t’aime». Un carnet avec l’écriture de mon père, adulte ; je l’ai parcouru. Il y avait quelques pensées, deux résolutions de début d’année, une liste de courses, la consommation aux cent kilomètres de la DS et trois pages remplies de lignes répétées, comme une punition à la petite école, datées de l’été 70, je ne veux pas mourir, je ne veux pas mourir, je ne veux pas mourir, je ne veux pas mourir.... J’ai aussi trouvé un agenda noir, offert à ma maman par «le Salon de Coiffure Hélène à Cronenbourg» pour la nouvelle année 1970. Je l’ai ouvert, il était en trois parties, un petit miroir à gauche, un peigne à droite et l’agenda au centre ; qui était vierge. Pourquoi garder un carnet vide ? Je l’ai feuilleté page par page. Une seule était marquée, d’une croix au stylo rouge. Celle du 3 août. Mon père avait 40 ans quand il est mort. Moi 11. Son père a été tué à 33 ans, mon père en avait 13. Il se sauva le soir même de la maison en lançant «je vais tuer du boche», disparut pendant trois jours et revint. Il avait erré, réfléchi et n’avait pas tué de boche. Il quitta l’école et entra à l’usine. Il fut ouvrier puis dessinateur industriel, chef d’atelier, contremaître, ingénieur, enfin directeur de la raffinerie de pétrole la Socaltra. Quatre mois après sa nomination, il tombe malade d’une maladie qu’on n’a toujours pas nommée, et est emporté en six mois. Moi je nomme cette maladie ainsi : mon père a réussi à canaliser la force de la vengeance et à la mettre dans l’apprentissage et le travail. A 40 ans il arrive au sommet de la montagne qu’il s’était demandé de vaincre. Toute la force ne trouve alors plus de point d’application, elle tourne en lui puis se retourne contre lui. Il avait canalisé la force mais ne l’avait pas transformée. Transformer, c’est le rôle de l’artiste, du poète. J’ai choisi d’être artiste ; poète j’espère. Rendre en beauté ce que la vie m’a proposé et me propose. En être capable car j’ai eu des exemples. Dans les histoires que j’ai connues, entendues ou vécues.

Michèle Guigon

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