theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Phèdre ! »

Phèdre !

d'après Phèdre de Jean Racine
mise en scène François Gremaud

: Partager la passion

Entretien avec François Gremaud

Entretien réalisé par Eric Vautrin et Fanny Guichard en janvier 2017 au Théâtre de Vidy, Lausanne

La 2b company propose des créations avec des formats divers qui présentent plusieurs points communs : le premier serait qu’elles ont toutes un rapport avec l’idiotie dans le sens étymologique du terme, c’est-à-dire singulier, particulier – mais qui n’est pas la bêtise. Plutôt l’idiotie comme quelque chose de dérisoire et si possible amusant.


L’autre aspect serait qu’elles ont à voir avec la joie dans son acception philosophique, nietzschéenne, où l’on célèbre d’une certaine façon la vie, le fait d’être vivant tout en n’étant pas dupe du tragique de la vie. Il ne s’agit pas d’amuser seulement pour faire rire mais plutôt de célébrer la vie et avoir un certain étonnement sur les choses. Un étonnement joyeux.


Cette joie, cette façon de célébrer la vie sans oublier la part tragique qui gronde sous la légèreté est en effet assez caractéristique des créations de la 2b company. Et l’idiotie des spectacles n’ignore rien du savant et de l’intelligence.


Non, loin de là ! Au contraire, je pense que c’est une façon de ne pas mettre en avant une posture, un positionnement qui pourrait éloigner le spectateur. L’idée est de présenter des spectacles qui semblent faciles d’accès où le spectateur peut se dire «je suis plus intelligent que ce spectacle» et en l’appréhendant ainsi, il peut découvrir d’autres  «choses». Une manière détournée de cacher cette dimension savante du spectacle qui n’empêche pas une dramaturgie, une trame réfléchie, des connaissances mobilisées.


Dans Conférence des choses, et ce sera aussi le propos de Phèdre, nous mettons en partage «l’étonnement» face à la vie et au savoir. On dit parfois que l’étonnement est à la base de la philosophie. Dans Conférence des choses, ce n‘est pas un philosophe qui parle, mais un proto-philosophe, quelqu’un avant le philosophe qui fait découvrir l’étonnement. Et après, pourquoi pas, à nous spectateurs de penser. Notre rôle est de déclencher la pensée.


De la même façon pour Phèdre en classe, il s’agit de mettre en partage l’étonnement de Phèdre. Ce projet résulte de mon envie de donner à voir quelqu‘un qui serait totalement passionné, traversé par ce texte. Pour plusieurs raisons, et notamment parce que je suis passionné par Phèdre depuis toujours – Phèdre a été mon premier rapport avec les textes classiques. D’abord à l’école, puis durant des cours amateurs que je prenais le soir. Je vivais alors un amour passionnel d’adolescent et j’entendais ces mots qui résonnaient totalement avec ce que je ressentais. L’interprète, Romain, nourrit la même passion pour ce texte. Nous désirons partager la passion que l’on peut ressentir pour quelque chose, en espérant que par effet de ricochet cela se transmette.


Une sorte de monologue en classe d’un homme qui parlerait de sa passion et de sa rencontre avec ce texte ?


Oui. Sûrement sous forme de cours, un faux cours. Un professeur qui viendrait parler de Phèdre. Il y a beaucoup de sujets à aborder autour de ce texte : la période durant laquelle il a été écrit, le texte classique, le style de l’alexandrin, qui est Phèdre, fille de Minos et de Pasiphaé... qu’est-ce que cela veut dire ? Et ainsi de suite.


Et il y a la pièce à raconter. Or un comédien comme Romain, avec en plus son accent du Sud-ouest, pourrait rejouer ou évoquer des personnages devant des spectateurs qui ne seraient pas dupes du fait qu’il est en train de les rejouer. Le pari ? En faire un spectacle réjouissant. Mais en même temps, que l’on puisse entendre vraiment une passion pour Phèdre et si possible, à un moment, être touché par cette passion dévorante.


L’INVENTION D’UNE LANGUE


Phèdre de Racine, c’est à la fois le drame de la passion, mais aussi l’invention d’une langue. Ce sont deux chemins qui avancent ensemble...


Oui. Et c’est la conjonction des deux qui, je pense, fait de cette pièce un chef-d’œuvre. Pour moi, il n’y a aucune autre œuvre francophone qui rassemble à ce point, de manière si juste, ces deux éléments. Une œuvre où la langue, ne serait-ce que l’agencement des mots, des sons, la respiration même de la langue, provoque de l’émotion.


J’ai le souvenir du travail de l’alexandrin en Belgique, à l’INSAS, où nous devions nous saisir de la langue grâce à des exercices de respiration. Nous nous rendions compte que si les alexandrins étaient bien dits, avec un ancrage dans le sol, nous avions quasiment tous les larmes qui nous montaient aux yeux. Une espèce de miracle qu’on ne retrouve pas chez Molière, ni Corneille, cette fameuse imbrication entre le sens et la forme. L’invention d’une langue : on pourrait trouver la démarche de Racine très contemporaine, cette langue qui fait naître, souligne et accompagne le sens.


On n’arrête pas de croire que le théâtre contemporain ne se préoccupe que de la forme, ce que je pense totalement faux. Au contraire, le théâtre contemporain, c’est trouver une forme en adéquation avec le sens. Et avec Racine, on est pile à cet endroit. Pour moi une langue intemporelle qui n’est pas du tout datée. C’est une invention absolue qui a son propre fonctionnement. Un monde en soi.


PHÈDRE EN CLASSE


Amener Phèdre en classe, c’est venir avec l’histoire du théâtre, une œuvre phare du classicisme français.


Cette pièce n’a cessé d’être réappropriée, de façon très savante à l’image des études de Roland Barthes entre nombreux autres, ou plus librement, dans le théâtre populaire par exemple – il y a sur youtube des captations assez délicieuses parce que là aussi, il y a l’invention d’une langue.


C’est un immense monument et aussi un rêve de comédienne et de comédien. On a tous entendu parler ou parlé la langage de Phèdre. Phèdre, en parlant d’elle-même, dit qu’elle est un monstre, et pour nous « théâtreux », c’est une espèce de monstre. Comment s’attaquer à cette mesure du grandiose et à travers une forme très minimaliste ? Le comédien va tenter de s’emparer de ce gigantesque monument au sein des salles de classe.


Est-ce que la question de l’adolescence, cet âge des passions, ou le fait de s’adresser à des adolescents est aussi un aspect de ce projet ?


Oui. De manière personnelle, Phèdre était vraiment une rencontre. Une rencontre adéquate et juste parce que, l’adolescence, ça peut aussi être l’âge de passions dévorantes, fortes, violentes... des tourments et des feux. Et en plus le vocabulaire chez Racine est tellement beau... Les transports amoureux... Qu’est-ce que ça veut dire être déplacé ? Il y a toute cette langue que je trouve parfaitement adéquate avec la passion adolescente. Les premières fois, c’est tellement fort. Moi adolescent, lire Phèdre me faisait pleurer.


Aujourd’hui encore je n’arrive pas à lire Phèdre sans pleurer, donc ... (rires). Mais on en fera de toute façon quelque chose de tout-à-fait joyeux, car ce n’est pas contradictoire !


Le dernier aspect du projet, c’est la salle de classe. Tu parlais du proto-philosophe tout-à-l’heure, est-ce que ce serait une sorte de proto-théâtre ?


Oui, tout à fait. J’ai une espèce de conviction que le théâtre peut avoir lieu partout. Comment le théâtre peut-il naître à partir de presque rien et quasiment n’importe où ? Quand je dis presque rien ce n’est pas de Phèdre dont je parle, mais d’un professeur se saisissant d’un chiffon ou d’une craie qui peut figurer tout-à-coup un personnage avec un fichu, incarnant Phèdre entrant dans le palais... ou évoquer sa sœur Ariane, le labyrinthe, le Minotaure...


J’imagine qu’il sera en adresse directe, peut-être qu’il invitera les élèves à parler, en tentant de les maintenir très alertes. Ce ne sera pas donc un faux quatrième mur où un faux prof ferait semblant de donner un cours. Ça se passera ici et maintenant, parce que ce sont les lieux et les temps du théâtre qui m’intéressent. Sans doute, me connaissant, connaissant Romain, les élèves seront directement sollicités ; nous avons tous les deux le goût de cette interaction.


Parce qu’il y a alors un petit danger, un petit péril qui permet que ça reste toujours vivant. Nous travaillons aujourd’hui à trouver le bon biais pour inscrire le spectacle dans la classe;comment est-ce que Romain arrive, en tant que professeur, en tant que stagiaire,  « alors aujourd’hui, il y aura un stagiaire, etc.».


Et s’il parlera de littérature ou est-ce qu’il dira : «Dans le cadre de ce cours...». C’est à trouver. Et je pense que le spectacle durera une période. Ce serait bien que ce soit un peu ramassé. Il faudrait qu’on puisse être un peu étonné, bousculé... Voir que ça passe presque trop vite. Ainsi la préparation au spectacle par l’enseignant serait avant tout à cet endroit, je crois : il ne s’agirait pas tant de préparer la matière que le contexte, l’arrivée de Romain.


Après, si cela s’inscrit dans le cadre d’une démarche sur le théâtre classique ou un autre aspect littéraire, historique ou philosophique, tant mieux. Le spectacle et le cours pourraient alors entrer en résonance, mais je ne le vois pas comme un prérequis obligatoire. C’est avant tout une façon de faire une déclaration d’amour à Phèdre, mais aussi au théâtre. Ce moment où un être humain face à d’autres êtres humains arrive à faire naître, évoquer quelque chose de gigantesque.


Peut-être les élèves iront très loin, par l’imaginaire ? Mais en même temps nous serons dans ce tout petit cadre de la classe, dans un univers commun, habituel. Et j’aime beaucoup cette idée de ne pas déplacer les élèves pour les mettre devant un décor construit. Il s’agit de tout évoquer à partir de leur quotidien, de cet endroit qu’ils connaissent par cœur et de favoriser de déploiement de l’imaginaire dans ce cadre-là.

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.