L’origine
Ce texte se veut un écho à Léon le nul, coproduit en 2005 avec le Théâtre Bouches Décousues. Éthienne, frère de Léon, personnage central de ce nouveau récit, transporte une autre vision de la famille. Si Léon tentait de s’affranchir de son lien de dépendance à l’égard de sa mère, Éthienne, petit bonhomme en papier carbone et à l’histoire sale, va plutôt tenter, lui, de se débarrasser de son père, un homme-vache qui marche mal et lentement, qui a peur de tout et qui agit très peu. Un père inutile.

La famille mythologique
L’histoire explore ce qu’il y a de mythique dans cette famille québécoise. Éthienne ne peut pas (ou ne veut pas) s’expliquer ses origines de façon rationnelle. Sa famille est démesurée : comment sa mère a-t-elle pu enfanter, sans le secours des dieux, 57 enfants? Si laids! Si bêtes! Pourquoi est-il le seul à être doué de raison? Il s’agit là, sans contredit, d’un signe de l’au-delà. Mais surtout, il ne peut se satisfaire de ce père mou, à demi bovin. Il doit trouver une raison à ce châtiment, on a sûrement transformé ce père en vache pour une faute commise par un autre membre de la famille… Il doit savoir, il doit trouver une cause toute-puissante pour donner un sens à sa condamnation. Quitte à inventer l’origine de tous ces troubles.

Le double
Le titre Petit bonhomme en papier carbone rappelle la technique de duplication au papier carbone grâce auquel on peut retranscrire sur la feuille du dessous ce que l’on écrit ou dessine sur la feuille du dessus. On retrouve alors sur la copie la même écriture mais plus brouillon, plus salie. Francis Monty reprend ce principe de double noir et salissant dans le récit d’Éthienne où la réalité se mêle au rêve et au fantasme. Quelle réalité choisir dans ce que nous raconte Éthienne? Qui est ce double-ombre qu’il évoque? Quelle est sa vraie origine?

Historique
Petit Bonhomme en papier carbone est né pendant la résidence d’écriture de Francis Monty à Limoges en 2003, qui a mené à la présentation d’une première version du texte en 2005 au Festival du Jamais Lu. Mais le texte reste ensuite en jachère, Francis ne retrouvant pas la même émotion et le même besoin d’urgence qu’il avait ressentis pendant la résidence de Limoges. Après le décès de son père en 2008, le texte de Petit bonhomme en papier carbone l’habite de plus en plus en raison du fait qu’il aborde justement la question du père. Il se remet petit à petit à l’écriture de la pièce, entre deux tournées. Il remue le texte, le retourne, le charcute et en brise la linéarité, travaillant par collages et accumulations de petites vignettes.

Un individu est pour moi quelque chose de difficile à cerner, je veux exprimer cet état par un casse-tête troué. Ces trous, par la suite, faciliteront l’intégration de l’image : théâtre d’objets et théâtre de papier.
Francis Monty

Depuis, le texte a fait l’objet d’une lecture publique présentant les premiers essais de mise en scène au Festival du Jamais Lu en mai 2011. D’autres lectures ont eu lieu en 2012 pour tester le texte devant plusieurs classes et des publics adultes en mars au Festival Nouvelles Zébrures de Limoges et au Fesitval Méli’Môme de Reims, en mai et septembre au théâtre Aux Écuries à Montréal ainsi qu’en octobre au Festival M’auteurs de Reims. À l’automne 2012, une résidence en France au Bouffou Théâtre à la Coque a ensuite permis de continuer à travailler sur le spectacle dans le but de la création de la première en novembre 2012.

La matière pour illustrer le bestiaire
L’acteur-conteur, derrière sa table de travail, livre son récit en utilisant des feuilles de papier, des dessins et les objets qu’il a disposés autour de lui. Ces différents supports lui permettent d’interpréter tous les personnages du récit.

Le papier est sans doute l’objet le plus utilisé dans la vie courante. On finit par ne plus le voir pour ne voir que son message. Pourtant, son caractère éphémère porte une charge émotive indéniable. Des éléments de papier émane une grande fragilité. D’un côté, Éthienne canalise sa violence dans son oeuvre artistique : il dessine. D’un trait noir et sale, il dessine sa famille, ses origines. D’un autre, le résultat est léger et volatile… fragile. Un paradoxe évocateur!

Écrire pour l’objet
On considère souvent le théâtre d’objets comme de la simple animation ou de la transposition, où un personnage (par exemple Ubu dans Ubu sur la table) prend les traits d’un objet (une bouteille). Or, c’est bien davantage. L’objet sur scène est à la fois forme, symbole et personnage. Il transporte avec lui de multiples ramifications sémantiques. Par exemple, une pomme rouge : fruit défendu, objet de tentation (dans la Bible), symbole de la discorde (dans L’Iliade); sa couleur nous parle de désir, sa forme de plénitude; elle peut être une roue, un astre, etc.; si elle tombe, c’est l’automne; si elle est trouée, quelque chose la ronge (le doute? un ver?); si on la mange, on trouve un coeur… et 1000 nouvelles images émergent.

Depuis plus de dix ans (Ubu sur la table a été créé en 1998), la Pire Espèce s’intéresse à l’écriture pour l’objet et plus largement à l’écriture en corrélation avec l’image. Ce type d’écriture demande du temps et exige une approche non conventionnelle du travail de l’auteur. Écrire pour l’objet, c’est un peu comme composer une oeuvre pour orchestre. Le compositeur doit connaître intimement les techniques et registres de tous les instruments, afin de pouvoir écrire une oeuvre qui les mette en valeur. De la même manière, l’«orchestre» du théâtre d’objets étant composé d’une batterie d’objets inertes, il est nécessaire d’explorer les potentialités scéniques de chacun d’eux en salle de répétition, afin de véritablement écrire pour eux.

Ce que les objets lui ont fait découvrir lors de la conception d’Ubu sur la table et de Persée, Francis Monty souhaite maintenant le provoquer plus directement lors de sa prochaine création, Petit Bonhomme en papier carbone, en utilisant volontairement des objets dans le processus d’écriture.