theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Penthésilée »

Penthésilée

mise en scène Jean Liermier

: Penthésilée, par Jean Liermier

Propos recueillis par Pierre Notte

Dévorer l’autre, mordre l’être aimé
L’origine des Amazones est violente : l’armée du roi éthiopien Vexoris envahit un village scythe, extermine les hommes, viole leurs femmes. Celles-ci fabriquent avec leurs bijoux des lames acérées, et en une nuit massacrent l’oppresseur. Dès lors elles fondent un État des femmes, érigeant des lois pour se protéger des hommes, mutilant leur sein droit pour maîtriser la puissance de l’arc, et prennent le nom d’Amazones. Pour la reproduction (lors de la fête sacrée des roses), elles partent en chasse et capturent les guerriers les plus valeureux, qu’elles n’ont le droit ni de choisir, ni d’aimer.
Mais choisit-on d’aimer ? Le sentiment nous dépasse, le désir ou l’amour ne sont pas des affaires d’injonction. Penthésilée, assiégée par son amour pour Achille, ne pourra que remettre en question les règles de cette société. Plus qu’un demi-dieu ou une déesse, elle reste avant tout une jeune femme en conflit avec elle-même, tiraillée entre les lois contraignantes d’un royaume, dont elle est depuis peu la nouvelle reine, et son impulsion amoureuse. Et entre son désir d’être une bonne souveraine et son désir pour Achille, l’équilibre est fragile, ténu. Les personnages de Kleist aspirent au divin, mais restent ancrés profondément dans le sol. L’amour, à l’image de la plaie au bras d’Achille, sera la blessure qui anéantira les Amazones.


Contre toute idée convenue du romantisme
Kleist écrit Penthésilée alors que la tragédie allemande s’invente. La forme même qu’il propose, en s’appropriant le mythe grec, fait preuve d’une grande liberté, il innove. Il évoque ses propres tourments sentimentaux, ses propres incapacités à travers cette impossibilité d’aimer. Pour ma part, je crains l’a priori romantique, car il nous propose des solutions. Alors que ce sont les questions qui me font avancer. Les personnages ne sont pas complaisants, ils ne se regardent pas souffrir, ils n’en ont pas le temps, ils se débattent pour tenter de vivre leur vie tant que bat leur coeur, entre émotion, violence, désir et fragilité. La mort n’interviendra ici que comme une issue, une délivrance, une solution. On ne peut pas ne pas penser au suicide de Kleist et de sa compagne. La tragédie dans Penthésilée naît de la méconnaissance et de l’incompréhension des êtres. Achille, qui est littéralement « tombé » amoureux de Penthésilée, tente de la comprendre, mais ils ne se croiseront véritablement que lors de la scène centrale qui repose sur un mensonge, Achille faisant croire qu’il a été vaincu : finalement ils vont passer à côté l’un de l’autre. C’est sans doute là qu’est le tragique.


Le mythe grec, l’énigme des Amazones


Nous ne sommes pas face à une pièce historique. La guerre de Troie n’apparaît que comme une toile de fond. Elle permet l’exaspération des corps, une transpiration et une respiration particulières. Elle met en valeur la dangerosité et permet de renforcer les enjeux. Et si ces personnages ne sont pas de simples quidams, c’est qu’ils sont prêts à tout. Ils ont soif d’absolu et de se réaliser, envers et contre leurs camps respectifs. Ces demi-dieux sont dépassés par la réalité terrestre. Dans la version mythologique la plus répandue, Achille tue Penthésilée, en tombe amoureux, et la viole. Kleist s’approprie le récit et c’est Penthésilée qui dévore Achille. Je tiens à rendre compte de cette « insolence » d’écriture, de cette liberté poétique. Pas de références précises à une époque ou à un lieu géographique. Le mélange costumes de guerre du XXe, cuirasses et casques grecs m’intéresse.


Une rose des sables, perdue entre le ciel et la mer
Les acteurs gravissent les hauteurs d’une structure abstraite, une rose des sables démesurée perdue entre le ciel et la mer. Le théâtre comme champ de bataille, le décor comme machine de guerre ; tel un immense scorpion qui jaillirait hors du sable du désert, et qui finirait par occuper tout l’espace, avant de s’engouffrer à nouveau dans le sol. Le temps de la représentation le scorpion pique les personnages de son poison mortel que l’on pourrait nommer amour. Tout se trame en coulisses, hors champ. L’espace est un tremplin pour la parole, cette fameuse pensée en mouvement que décrit Kleist. Le vrai décor ce sont les paysages, les images suscitées par le texte. Il faut inventer, réinventer nos propres règles de jeu et notre propre genre. Il faut oublier ce que l’on croit savoir, céder au vertige.

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.