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Peer Gynt

+ d'infos sur l'adaptation de David Bobée ,
d'après Peer Gynt de Henrik Ibsen
mise en scène David Bobée

: Note d'intention (3/3)

par David Bobée

Je voudrais que son parcours non-initiatique


Je voudrais que son parcours non-initiatique soit une traversée de mondes comme autant de critiques sociales, une galerie de postures contemporaines, une succession de tentatives pour structurer le monde et y trouver sa place qui, toutes, échouent. Que les Trolls soient montrés pour ce qu’ils sont : des créatures nombrilistes et protectionnistes, des identitaires nationalistes profondément fermés à l’autre et confis dans leur immuabilité.
Aussi m’affranchirais-je franchement de toutes références au folklore et de toute tentation surnaturelle : mes trolls seront bien humains et renverront l’image d’un groupuscule fasciste. Ils me permettront d’interroger les questions bien françaises et bien urgentes de laïcité et d’intégration. On demande à Peer de porter de nouvelles couleurs, d’adopter de nouvelles valeurs, un nouveau mode de vie, une nouvelle alimentation, de nouveaux usages vestimentaires... mais on lui accorde de garder sa foi pourvu qu’il n’en parle pas et ne la manifeste jamais en public.
Je prévois aussi que le banquet des hommes d’affaires soit bien une réunion des dominants qui se partagent le monde et la force de travail de ses habitants. Le décor sera un planisphère, une carte du monde politique à se répartir. Je souhaite que l’ensemble des choix esthétiques opérés permettent aux spectateurs d’entendre les discours cyniques de Peer comme directement contemporains: ses discours sur l’esclavage s’appliquent remarquablement à la question du prix du travail, ses postures coloniales n’ont rien à envier au post-colonialisme du dumping social (le figure de Huhu y reviendra quelques séquences plus tard).
Le cynisme avec lequel Peer l’impérialiste explique prêter ses capitaux à l’armée la plus forte pour se faire des alliés commodes en dépit des droits des peuples n’est pas sans résonance avec l’histoire récente. L’adaptation met en relief la séquence avec l’esclave Anitra et la question du recours au religieux comme outil de domination.


Ici, cette quête de « l’être soi » sera plutôt « être au monde »


Ici, cette quête de « l’être soi » sera plutôt « être au monde » : que cautionner ? que construire ? que laisser faire ? Dans un mode que sa marche ordinaire semble toujours mener au pire, peut-on se permettre lâcheté ou paresse ? Certes ni nous ni Peer ne sommes des monstres, mais notre manque de courage laisse parfois les monstres s’accoucher tout seuls. En refusant d’être un fils, d’être un époux ou d’être un père, d’être acteur du monde moderne qui est en train de se construire, Peer se veut seul face au monde et son individualisme triomphant lui revient en pleine figure comme un boomerang : il se découvre seul celui qui se croyait libre.


Il pensait appartenir au clan de ceux qui dominent le monde, il découvrira qu’il n’a fait que le détraquer. Chaque fois, il a fui dès que la situation devenait sérieuse. Ne pas s’engager, agir le moins possible, contourner les décisions : n’être jamais celui qui fait mais celui qui profite, profiteur de guerre, profiteur de crise, exploiteur des faiblesses et des folies humaines.Dans une lettre qu’il écrit au roi en avril 1866, Ibsen précise au sujet de Peer Gynt que sa «mission vitale» était de « réveiller le peuple et l’amener à penser grand ».


Peut-être plus modestement, je voudrais amener mon public à « penser » tout court : à quoi participes-tu, à quoi refuses-tu de participer, qui contribuerait à ce que le monde soit autre chose qu’une mauvaise plaisanterie ?


La scénographie représentera principalement une fête foraine abandonnée


La scénographie représentera principalement une fête foraine abandonnée, sa montagne russe en décomposition et sa grande roue arrêtée dans sa course. Au croisement du camp des enfants perdus dans le Hook de Spielberg, de l’île au plaisir de Pinocchio, du Disma Land de Banksy et du parc de Prypiat à Tchernobyl. Elle dira le monde comme un terrain de jeux d’enfants pour dirigeants inconséquents, l’occident comme une fête qui s’est mal finie. Un monde qui cherche à se construire dans une ruine, à l’instar d’un Peer Gynt qui s’invente joyeusement à partir de la faillite familiale, nationale, morale, mondiale. Les montagnes de Norvège deviennent ces montagnes enfantines aux volumes imposants qu’on escalade péniblement.
Une montagne russe comme une vie faite de courbes, de détours - « Fais le tour, Peer, fais le détour » suggère le personnage du Grand Courbe, figure de l’esquive et de l’obstacle, de la contrainte d’une vie d’homme. Une grande roue arrêtée comme un destin en panne, assignant Peer Gynt à l’endroit qu’il ne cesse de vouloir fuir : lui même. Les voyages - réels ou imaginaires, peu importe - ne seront dès lors que de carton-pâte et seront pris en charge par des toiles peintes, en référence à la tradition illusionniste du théâtre.


Se succédant comme les pelures de l’oignon, elles dévoileront à force de tomber le paysage que Peer avait fui : celui de son enfance. Décors imaginaires qui parlent encore de fausseté, d’un monde qui se prétend structuré mais qui n’est qu’un trompe-l’œil à l’usage des dominants.


DAVID BOBÉE, METTEUR EN SCÈNE

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