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Peer Gynt

+ d'infos sur l'adaptation de David Bobée ,
d'après Peer Gynt de Henrik Ibsen
mise en scène David Bobée

: Note d'intention (2/3)

par David Bobée

C’est l’histoire d’un enfant


C’est l’histoire d’un enfant arrogant, malappris, bouffi du sentiment de sa supériorité quand il n’est qu’un garnement inepte et inapte.


C’est l’histoire d’un jeune homme exclu, qui crois un instant trouver une place au monde dans l’isolement protectionniste et intolérant.C’est l’histoire d’un homme fait, individualiste et cynique qui instrumentalise le monde, les autres et la morale pour sa jouissance et sa mégalomanie.C’est l’histoire d’un homme mûr, qui tâte du religieux et du nihilisme.


C’est l’histoire d’un vieil homme écœuré, qui observe l’état violent du monde qu’il a participé à corrompre et prend la mesure de sa médiocrité au crépuscule de sa vie.Trajectoire de l’homme qui a quitté les valeurs traditionnelles de la ferme familiale et du village pour spéculer, s’enrichir, dominer... avant de faire naufrage et d’être confronté à la vacuité nocive de son existence.C’est l’histoire de Peer Gynt, enfant terrible pour notre XXIe siècle balbutiant.


Curieusement - et sans volonté polémique –


Curieusement - et sans volonté polémique – j’ai aimé cette histoire et souhaité la porter à la scène pour sa vacuité. Il y a dans Peer Gynt quelque chose de l’épopée pour rien qui me fascine et rentre en écho avec notre temps : le personnage s’agite et se pavane sans que rien de bien concret ou durable n’en sorte, il ne sait que faire de ses victoires, n’apprend rien de ses défaites et, finissant sa vie, il finit la pièce sans qu’aucune morale univoque ou discours éthique soit à dégager et retenir.
Il en va de l’œuvre comme de son protagoniste : point de noyau derrière les pelures. Ce vide, ce relativisme et cet acharnement à remplir l’espace ou occuper le temps pour ne pas se confronter à son propre néant me paraissent terriblement parler de mon époque. Tant au niveau intime, où le soi se confond avec l’image de soi que l’on compose et que l’on partage à l’infini, qu’au niveau politique où ma génération héritière d’un monde sécularisé, sans philosophes et aux idéologies agonisantes, ne peut considérer le concept même de « vérité » qu’avec une certaine ironie.


Je voudrais que Peer, ce soit nous.


Nous, le héros tragique tel que le définit Aristote : un homme ni spécialement bon ni spécialement mauvais qui devient malheureux, non à cause de ses vices mais à causes de « quelque erreur ». Peer comme reflet de l’humanité occidentale contemporaine : ni héros ni salaud, il est ordinaire : courageux mais pas téméraire, une ambition que met en échec l’inconstance, un reste de religion et un fond de moralité dont viennent facilement à bout le désir et la cupidité. Ce bonhomme est bien à notre image, à l’image de ce qu’Ibsen appelait « la majorité compacte » : flamboyant de médiocrité. Peer est passé à côté de cette grande vérité selon laquelle «la liberté n’est pas l’absence d’engagement, mais la capacité de choisir. »


Heureux qui comme Ulysse, naïf qui comme Candide, astucieux qui comme Nassreddine, aventurier qui comme un Roi singe, a fait un beau voyage. Peer Gynt incarne aussi cette figure bien connue dans l’histoire littéraire de l’humanité, celle du voyageur, du voyageur découvreur de monde. C’est par ses yeux qu’Ibsen dépeint des réalités sociales troublantes de modernité ; c’est par ses aventures qui mettent des mondes en défaut, qu’Ibsen dévoile une critique acérée de son époque et des mécanismes de domination. Révéler à quel point « Peer, est nous » m’enjoint aussi à chercher ce qu’il y a d’aimable en lui.
Parfois malicieux ou naïf, souvent drôle et vif, fils, amant, ami, aimant à sa façon, Car pour apparemment détestable qu’il soit, l’histoire de l’œuvre et de sa réception montrent bien qu’il ne peut jamais être détesté ! Quoiqu’il ait accompli de mauvaises choses, en paroles, par action et par omission, il ne peut être condamné à l’enfer ni accéder au paradis (si tant est que de tels endroits existent). Il ne peut qu’être refondu dans l’humanité entière.


Si l’œuvre comporte une leçon elle est là : quelle vanité que consacrer sa vie à la connaissance de soi, la construction de soi, la promotion de soi. Car rien ne reste de tout cela, nos biens sont voués à la destruction et nos noms à l’oubli. Seul l’impact de notre engagement dans le monde a une chance de survie. « Vanité des vanités, tout est vanité. Quel profit trouve l'homme à toute la peine qu'il prend sous le soleil ? Un âge va, un âge vient, mais la terre tient toujours. » Leçon d’humilité, leçon d’humanité.

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