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Passion selon Marguerite

mise en scène Patrick Verschueren

: Propos du dramaturge

Passion selon Marguerite est une commande faite à Jean-Marie Piemme autour du Mythe de Faust. Un premier chantier a été présenté au Théâtre Varia à Bruxelles le 28 Février 2003 et au Centre Wallonie Bruxelles le 20 Mars avec des acteurs du Centre des Arts Scéniques de Charleroi.



La pièce de Piemme est une relecture de Faust (celui de Goethe). Une suite de Faust, plus exactement, une suite pour aujourd'hui, où Marguerite n'est plus l'innocente petite gretchen qui, de honte, immolait l'enfant de l'amour qu'elle avait conçu avec le vieux savant, mais une jeune femme célibataire moderne, décidée à mettre son enfant au monde malgré … malgré tout, c'est-à-dire malgré l'état du monde tel que nous le connaissons. L'acte de Marguerite sonne donc comme un défi ou plutôt comme un pari. Bienvenue chez nous, donc, à la petite Margot, car tel est son nom. Avec elle, comme avec tout enfant, beaucoup d'espoirs sont à nouveau permis, un nouveau départ peut être envisagé, une nouvelle réserve d'innocence, qui sait, offerte au monde.


Bien sûr, Méphisto n'a pas tout à fait disparu. Il est là, dès le début de la pièce, à rôder dans la maternité avec son compère Faust, tous deux vêtus de leurs oripeaux traditionnels, mais ils ne sont que de vieux fantômes plus tellement dans le coup, que Marguerite renvoie vite dans les cordes. Je prends mon destin en main, leur lance-t-elle. Il n'en fallait pas tant, sans doute, pour que les forces hostiles se mettent en branle. Jetée dans le monde avec sa gamine, Marguerite connaît d'emblée son chemin de croix – sa Passion à elle: prostitution, suicide raté, désir de vengeance et de meurtre, impossibilité de parvenir à la paix ni à un quelconque bonheur sur terre… sinon grâce à la miraculeuse intervention de son ange gardien, Elsa, qui la sauve de la mort et du viol avant de signer avec elle un pacte de solidarité.


Piemme nous entraîne ici dans un (faux) mélo plein de coups de théâtre, mais le monde et ses forces obscures auxquels s'affronte Marguerite ne sont plus simplement en noir et blanc..


C'est un monde ambigu, où l'amour et la mort, la liberté et l'esclavage ont souvent le même visage, où il est difficile de distinguer la part de Dieu et la part du diable. Carl, le maquereau, apporte des fleurs à Marguerite et lui déclare son amour avant de se mettre à la tabasser. Le diable qui la sauve et qui la venge de ce triste individu est à la fois une authentique créature infernale, qui n'hésite pas à tuer, mais c'est au fond un bon bougre, un peu pathétique, un peu pataud, comique même, dont les pouvoirs magiques sont un peu rouillés. Quant à Elsa, l'ange gardien, ou la bonne fée, qui la réconcilie avec les hommes (au milieu de la pièce), il apparaît qu'elle est en réalité une envoyée du diable, version moderne: elle connaît la loi des hommes, celle de la cupidité, de la rivalité, du prix à payer pour chaque chose acquise qui est le prix du sang et elle en joue.


Elle n'a pas sauvé Marguerite pour rien. Rien n'est pour rien dans cette société. Elle désire sauvagement Marguerite, voilà tout. Et elle l'a eue. Elsa, au fond, représente à la fois Faust et Méphisto. Elsa, c'est une deux en un. A la fois celle qui désire et qui se donne elle-même les moyens magiques d'assouvir ses désirs. Et nul besoin pour elle d'un patron satanique quelque part en enfer. Elle s'est mise à son compte ici bas, comme elle dit. Une petite entreprise très start up, sans chef, sans hiérarchie, spécialisée dans la satisfaction immédiate des désirs. On aperçoit par là que, de façon assez diabolique, Piemme suggère une ressemblance très forte entre Elsa, le maquereau de Marguerite et les hommes qui voulaient la violer. C'est elle qui les a éliminés, mais pour mieux prendre possession de Marguerite à leur place. En sachant que Marguerite aura un prix payer.


A ce stade de la pièce, pourtant, Marguerite n'a pas conscience de tout cela. Libérée, elle s'envole avec Elsa et survole la ville (Piemme prévoit ici, comme à quelques autres moments, une courte séquence filmique onirique, où il veut suggérer l'arrachement au réel). Cet envol est aussi une figure de l'ascension sociale de Marguerite. Aidée par Elsa et ses subterfuges d'agent double (on se croirait parfois dans un roman d'espionnage), elle va devenir spécialiste du rachat d'entreprises. Revanche contre les hommes, jubilation commune. Deux Tapie féminins qui mettent les hommes au tapis. Encore du sang… Mais on va vite en arriver aux limites de l'entreprise. Au prix à payer.


Piemme introduit pour cela deux autres personnages, Paula et Charles (chef d'une société au bord de la faillite), tous deux fous de désir, qui se suicident de ne pas être désirés en retour. Paula désirait Charles, qui ne la désirait pas, mais désirait Marguerite, qui ne le désirait pas… C'est dans ce jeu de miroirs tragique que Piemme inscrit son propos sur le pacte diabolique. Comme Charles l'explique, s'il s'est brusquement enflammé pour Marguerite, c'est que celle-ci est venue à son secours. Elle a racheté et donc sauvé sa société, agissant en cela, au fond, comme une acolyte du diable, qui seul possède ce pouvoir magique de redonner une valeur à ce qui n'en n'avait plus (comme on transforme du plomb en or), c'est-à-dire le pouvoir de transcender les limites de la condition humaine. Et la malédiction du pacte diabolique c'est que cette transgression des limites de l'humain a pour contrepartie une négation de l'humain, c'est-à-dire fondamentalement de l'autre et de ses désirs. Marguerite reste ainsi de glace face au violent désir sexuel de Charles. C'est une pute qu'il vous faut, lui dit-elle, le renvoyant à sa solitude l'ironie tragique étant évidemment que Marguerite elle-même se trouve elle aussi amputée de tout désir.


C'est ce prix à payer - la négation de l'autre et de soi-même (et les cadavres qui jonchent le chemin) - , dont Marguerite prend conscience à ce moment-là.


La dernière scène, celle du carnaval, met superbement en scène la logique et l'aboutissement de cette transgression des limites à l'échelle de notre société. On y voit en filigrane, derrière le folklore faustien de la fête, le fonctionnement implacable de notre société libérale et ses effets: aliénation, dépossession de soi-même, règne de l'apparence et de l'argent. Mais heureusement… Marguerite se révolte. Je ne dévoilerai pas les circonstances. Disons seulement qu'elle retrouve dans cette fête un jeune homme prénommé Henri (prénom du Faust de Goethe), et qu'une ultime fois Marguerite s'émancipe et renaît à elle-même. La suite, on ne la connaît pas, mais elle est peut-être en germe dans ce vieux livre de Goethe, si lointain mais si proche en même temps, que Marguerite confie, dans un moment de nostalgie, à sa petite fille, Margot.


Gérard Dallez, dramaturge

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