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Paroles gelées

mise en scène Jean Bellorini

: une aventure théâtrale dans un monde fantastique, infernal et merveilleux

Paroles gelées, un spectacle avec chansons pour treize comédiens-musiciens-ouvriers de la scène. Le projet est d’adapter l’oeuvre de François Rabelais, principalement le Quart Livre mais en ne s’interdisant pas d’aller « piocher » ailleurs.


Le Quart Livre est un voyage allégorique et satirique à travers un monde terrible et inconnu. La navigation aventureuse de Pantagruel vers l’oracle qui révèle la Vérité s’achève avant que l’on aborde l’île de la Dive Bouteille. En effet, c’est sous le voile d’une fiction géographique que Rabelais donne une portée universelle à sa satire. Sous couleur d’étudier les coutumes des îles jalonnant ce voyage en mer, il ne vise qu’à décrire les travers sociaux, religieux et les préjugés de son temps qui y sont ridiculisés et bafoués avec une ironie véhémente. Chacune des escales aux pays imaginaires, chacun des récits devient symbolique et comporte une leçon morale. Toutes les îles, les habitants monstrueux qui y habitent, les créatures marines et les autres phénomènes naturels sont autant d’obstacles sur le chemin de la vérité.


Un voyage dans “ la merde du monde ” et “ la folie du monde ”.


Rabelais conclut selon la croyance populaire : “ Il (le monde) approche de sa fin. ” Dans le Quart Livre, le voyage de Panurge est comme un voyage au monde des enfers. Comme un pèlerinage qui peut permettre à Panurge de se purifier de “ la folie du monde ” et d’atteindre la révélation des mystères. Rabelais lui-même dévoile le sens caché de la navigation pour montrer le caractère intellectuel et gratuit de cette quête. Enfin, la quête de Pantagruel ou de Panurge n’aboutit pas. D’escale en escale, d’île en île, la navigation de Pantagruel et de ses compagnons devient de plus en plus une dérive. Elle demeure dans l’incertain futur noir.


La pensée profonde de Rabelais est concrétisée dans un mot qui revient sans cesse : le Pantagruélisme. Ses idées philosophiques, politiques et religieuses affleurent sous la forme de préceptes, de réflexions. L’allusion au Pantagruélisme dans le Prologue du Quart Livre indique une conception de la vie qui est résumée dans la notion du détachement stoïque et de la joie pantagruélique de vivre.


Rabelais prend tous les langages à bras le corps et se les mélange dans un grand éclat de rire. Il invente une langue incomparable, polyphonique, impure, insolente, chatoyante, qui mêle allègrement le haut et le bas, la merde et l'étoile, le cul et l’âme, les farces burlesques et la quête spirituelle.


Rabelais parle de nous. De notre temps. Ce temps où, comme au XVIe siècle, les idéologies dominantes s'effondrent alors que l'homme part à la conquête de nouveaux mondes : hier les terres d’un monde concret, aujourd'hui celles de l’invisible. Ce temps aussi où il est nécessaire d’entendre des valeurs humanistes. On n'en finirait pas de relever tout ce qui, dans cette oeuvre miroir, renvoie à notre époque : lutte pour la libération des mots et des corps, recherche d'une pédagogie idéale, attaques contre les fanatismes religieux, dénonciation des guerres de conquête...


Ma première envie est de faire entendre, chanter, vibrer, danser notre langue à sa naissance, en cet instant où l’on passe du Moyen-Âge à la Renaissance, et où s’enchevêtrent les richesses des deux périodes, temps explosif d’un monde qui se transforme, d’un monde en contradiction.
Paroles gelées se veut être un acte de foi en la langue : la langue ouverte, charnue, métissée, multicolore, à la fois savante et populaire, et qui ne survit qu'en se réinventant sans cesse.


Il s’agira d’un spectacle en langue originale, celle d’un Rabelais d’aujourd’hui, proférée par des hommes d’aujourd’hui. Il n‘y a aucunement une volonté de reconstitution historique. Le travail d’adaptation sera lié tout autant aux choix des épisodes que nous raconterons qu’à l’équilibre, plus précisément au mélange, entre la langue dans sa version originale et la traduction moderne. Le langage porté par les acteurs sera une « nouvelle langue étrangère ».


Rabelais écrit avant tout pour le grand public, pour le public populaire. Son écriture est elle-même théâtre. Elle est faite pour être dite à voix haute et forte sur un tréteau dressé au milieu de la foule. Alors tout devient simple et clair, et l'on prend le même plaisir à écouter et à déguster cette langue drue et savoureuse que l'exilé qui retrouve, émerveillé, les accents oubliés de son pays.


Dans le Quart Livre, un texte évoque des paroles gelées aux confins de la mer de glace qu'il faut réchauffer « contre soi » pour que les mots apparaissent. Ce sera le pivot de l’adaptation que nous en ferons : l’origine de la parole.


La musique populaire faite de rengaines joyeuses comme hymne à la vie, à la survie, car ici on chantera et on dansera la langue et la vie. Cette musique poussée à sa dimension la plus grande basculera dans le lyrisme, cherchant toujours à allier les classiques et les modernes !


L’artisanat du théâtre et sa machinerie seront au centre de l’univers scénographique et du traitement de la langue.
Nous revendiquons la liberté « d’imaginer » laissée au spectateur grâce à la place faite à la poésie.
Le plateau d’un théâtre permet un échange direct, une confrontation avec le public que la société ne permet plus.
L’espace et la langue sont de la matière poétique. Il faut assumer les flottements et les vertiges de l’espace, ceux des vibrations et les respirations de l’acteur. Laisser la part au vide et aux silences pour la vérité intime de chaque spectateur.


Et puis l’aventure collective dans laquelle la troupe est embarquée est une épopée populaire.
L’oeuvre de Rabelais est un voyage initiatique, une quête de la connaissance. Un livre d'aventures peuplé de tempêtes, de monstres, de guerres, de fêtes et d'îles fabuleuses. Un voyage où le vin devient métaphore, signe du lien culturel, quasi religieux, qui unit l'homme à ses racines. Et l'apparition de la dive Bouteille, au terme de l'épopée, sonne comme un hymne mozartien à la vie, à la fraternité et à la connaissance spirituelle.


Rabelais a passé sa vie à combattre toutes les injustices et tous les préjugés qui font obstacle à la science, à la sagesse et au bonheur, et dans un temps où les passions sont ardentes, il a conservé le calme de l’âme et la lucidité de sa raison. Il a essayé de créer une harmonie entre les conceptions contraires : Dieu et l’homme, l’ange et le diable, le bien et le mal, le corps et l’âme, la matière et l’esprit, l’immanence et la transcendance, l’idée et l’action. C’ est un mélange de ce que Rabelais a vécu, de ce qu’il a eu envie de vivre dans la conscience de la liberté, de la paix et de la joie, de ce qu’il a eu peur de vivre en son temps.


Il y a dans cette quête romanesque une vérité cachée sous les masques de la déraison et de la bouffonnerie. Le spectacle est un acte de résistance à travers l’affirmation d’une possible réconciliation, comme au début de la Renaissance, de l’homme avec le monde présent. Rabelais exalte le culte de la nature, des âmes et des corps, des forces et des actes.

Jean Bellorini

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