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Par les villages

mise en scène Guillaume Gatteau

: Notes d’intentions du metteur en scène

Il faut pourtant que cela chante
Je ne puis pas n’être qu’un cri
Cette chose en moi violente
Y cherche une faille une fente
Où passe la mutinerie


(Aragon: Le fou d’Elsa. Premier paragraphe)



En préambule


A l’heure de l’exponentiel besoin de manifestations locales axées sur les traditions et foires à l’ancienne, besoin d’un passé sécurisant que l’on sait révolu, (« quand on vivait mieux ») ; A cette même heure où nous parvient le discours d’un monde global, de l’Internet et du G8, (« on n’a pas le choix n’en parlons plus ») ;


A l’heure où la mémoire est un devoir plus qu’une évidence et notre patrimoine une fête, (« nous existions hier » ) ; A cette même heure de progrès techniques obligatoires et de réformes sociales inéluctables, (« tables rases du passé : c’est comme ça ») ;
Quand parle-t-on du présent ?


A cette heure de colère et de peine devant la surdité guerrière de nos puissants ; où n’est défendable que ce qui est utile et par extension, rentable ; où nos voix ne sont légitimées que lorsqu’elles disent oui, contre nos propres évidences ;
A ces heures confuses de nos places dans le monde et de la justesse de nos engagements, il y a des paroles possibles, celles de poètes, qui reposent les questions et apaisent nos violences pour ouvrir un champ de réflexion autre que politique : un champ intime et singulier, unique, du temps pris pour soi pour ne pas se perdre trop vite.


Par les villages est une de ces paroles, une parmi d’autres. Alors je veux la dire.



Monter Par les villages


Je vais monter Par les villages pour la beauté du texte, pour sa force évocatrice et la simplicité saillante de son propos. Pour le soin qu’elle prend à dire ce que nous ne savons pas dire. Parce que ce n’est pas un texte doctrinal, mais un élargisseur de pensée : ni définitif, ni partisan, ni politique, il ouvre un champ de possibles avec foi dans les ressources de l’humanité. Je vais monter Par les villages parce qu’il faut parler de cette violence d’un monde confus où semble nous échapper tant ce qui peut nous réjouir que nos moyens de lutter, alors que nous le savons : nous avons notre mot à dire.
Notre mot à dire dans une société du spectacle où l’on signale à l’entrée de chaque village ce qu’il nous faut y voir : village étape, village fleuri, village bien-être, panorama exceptionnel…, faisant de chaque lieu un endroit de représentation : ne peut-on pas nous-même y voir ce que nous avons envie ? Sommes-nous à ce point perdus qu’il nous faut tant de guides ? Un village ne peut-il être là pour lui-même ?
Notre mot à dire dans une société du spectacle où tout en uniformisant les goûts, on isole l’individu
(tout nous est « personnalisé » afin que l’on se croie unique, ne surtout pas être semblable à l’autre, l’ennemi potentiel)
Je vais monter Par les villages parce que je refuse autant la nostalgie des temps passés que la course sans questions vers le futur : pour parler du présent.
Je vais monter Par les villages parce que je n’ai pas d’inclination au catastrophisme, et tant que l’on peut parler, dire, alors il est possible de se comprendre.
Parce que Par les villages tente une confrontation et une réconciliation de deux mondes, de deux temps, par une histoire de fratrie et d’héritage, parabole de ce qui se transmet, et de la transformation inéluctable d’un village en étape touristique bitumée.



Ecoutez pleurer en vous-mêmes
Les histoires du temps passé
Le grain terrible qu’elles sèment
Mûrit de poème en poème
Les révoltes recommencées


(Aragon : Le fou d’Elsa. Dernier paragraphe)



Pour la pièce


Le travail du poète est travail sur la forme du langage. Car la forme questionne le fond, aide l’imagination et la réflexion sur le sujet traité. Peter Handke propose ici le regard d’un poète et transmet par la forme choisie un mouvement dramatique pour emmener le spectateur : le dialogue a des allures d’épopée, car on ne peut parler simplement des questions soulevées sans cheminer un peu, sans s’écouter jusqu’au bout ; les actes sont des tableaux pour ôter de la progression dramatique le souci de la résolution, pour ne pas que s’achève l’histoire mais que de l’ultime tableau s’ouvre un imaginaire vers un autre regard ; les personnages parlent quotidien et mystère avec une foi égale, préparant la parole d’unité de Nova, nous rendant notre propre légitimité à nous-mêmes.


Le travail que je veux proposer à l’équipe ira dans le sens de l’appropriation et l’affirmation par chacun de son engagement dans cette parole. Cela sera possible par un travail précis sur chacun, au cœur des répétitions. Je demanderai pour Grégor une parole tranchante et vive, une écoute à celles des autres la plus grande possible : tous ces personnages se parlent, se disent quelque chose au-delà des mots, c’est pour cela qu’ils prennent soin d’aller au bout de ce qu’ils ont à dire, pour se donner la chance de faire entendre ce qui ne peut se dire. A Hans il s’agira de ne pas taire la violence d’un être déconsidéré et perdu, pourtant d’une richesse gigantesque et moderne. A Sophie je demanderai la parole ferme d’une personne ayant choisi sa vie pour elle-même, refusant de céder aux injonctions sourdes de son frère, une personne qui cherche sa légitimité contre l’arrogance de Grégor. Les ouvriers et l’intendante viendront chanter leurs rêves, pour dire leur place assumée dans un monde qui les nie : ce sont eux qui portent l’énigme de la poésie, eux les personnages habituellement frustes. La parole de la vieille femme accompagnera celle de Nova pour énoncer les frustrations passées, les entailles du présent, et ouvrir à demain avec un sourire confiant.


Des acteurs et des mots, qui évolueront dans un espace désencombré où primera le travail sur la lumière, voulant offrir un volume de clarté aux relations des personnages. Celles-ci évoquent le mystère des liens humains, induisent l’indicible dans les rapports fraternels : point n’est besoin alors de matérialiser ou de signifier par un trop imposant décor. Les lumières distribueront la parole, ouvriront des espaces, créeront des images. Je veux celles-ci simples et belles, contrepoints visuels à la force du texte.


Mais également, j’envisage une création musicale affirmée pour emmener les mots, lier les paroles des personnages, donner à entendre une musicalité et un rythme présents dans toutes les entrelignes du texte. Par musique j’entends non seulement travail harmonique sur des notes afin de composer une mélodie, quelle qu’elle soit, mais également une volonté d’accorder les voix ensemble. Les personnages se parlent, et il me semble important que les voix des acteurs puissent être travaillées afin qu’elles aussi fassent sens : non seulement ce qui est dit, mais aussi le timbre, le comment ces mots sont dits. Si je peux parler de ce texte comme une partition, je veux la travailler ainsi que le ferait un musicien, les mots remplaçant les notes. La musique, qui est aussi créatrice d’images et d’imaginaires, me semble se fondre dans le type de travail que je me propose de faire, non de manière ostentatoire, mais reliant les tableaux pour faire du quotidien cette épopée dont parle George-Arthur Goldschmidt. Il est envisagé un travail sur la voix, sur les accords : ce sont des personnages qui se parlent et composent leur histoire devant nous.


Nous couperons dans le texte : nous l’envisageons ainsi pour que soit le mieux possible entendue la force de ce qui nous porte. Tous ensemble, metteur en scène, comédiens, créateur lumière, compositeur, musicien et texte ferons matière égale pour la proposition Par les villages.

Guillaume Gatteau

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