: Le Texte
Il est des livres qui touchent aux racines les plus sensibles
de l’âme et l’on n’a de cesse de tout faire pour en chercher
l’auteur et en devenir l’ami » : cela a été le cas pour
Palais de glace.
Tarjei Vesaas est l’écrivain de l’ineffable. son écriture
rend la respiration forte des saisons, l’exhalaison de la
brume au travers des champs, le choc des pierres et de
la glace. il a fait allégeance à la simplicité, à la fragilité.
Il rend compte de l’essentiel, de l’amour à en mourir mais
qui est plus fort que la mort, de la nature au plus profond
de la neige, de l’eau et du feu.
Son texte est peuplé de gouttelettes sur la branche, de
violence qui éclate dans un décor de premier jour du
monde, d’êtres simples d’esprit qui savent voir au-delà
des apparences et entendre l’inaudible.
Il rend compte des craquements des abîmes que nous
portons tous en nous.
Son art de faire surgir la mort violente, comme dans la
vie, au milieu des éclats fascinants du monde, en fait l’un
des plus grands écrivains du XXe siècle.
avancer dans un livre de Vesaas c’est avancer dans une
forêt de symboles.
Il nous parle autant des nuages, des cercles des vivants,
que de la nuit qui tombe, de ceux qui mouront dans cette
nuit, mais surtout de ceux qui n’ont pas succombé pendant
la nuit et qui verront la toute petite courbe du soleil,
même s’ils n’ont et n’auront jamais de nom.
Tarjei Vesaas est hanté par la condition humaine et la
mort en marche. il s’approche à pas de loup du sacré de
l’amour, cet amour justement, qui unit les deux petites filles
du Palais de glace, siss et unn, contre la mort.
Depuis leur rencontre à l’école, à l’étrange fuite et la mort
de unn, la très longue absence dure comme l’hiver, à la
recherche du Palais de glace et à sa découverte, le dépérissement
empathique de siss. et enfin la débâcle du printemps
et la réapparition de unn aussi morte que vivante
dans les glaces. Puis siss vivra, sachant qu’elle ne trahira
jamais l’amitié morte, sauvant en elle les images de unn.
Au Palais de glace de la mort figée, s’oppose le Palais du
souvenir de l’amour fidèle.
Tarjei Vesaas, visionnaire et écoutant : il y a du magicien
dans ce grand silencieux. il sait rendre le moindre frisson
de la lumière, le moindre pas sur la neige. la nature, ou
plutôt la nature, n’est pas la source de réponses, mais il
faut sans cesse l’interroger, lutter parfois contre elle et sa
rudesse, s’y dissoudre enfin.
Ce qui est emblématique chez Vesaas est ce mouvement
perpétuel entre le réel le plus prégnant et le rêve le plus
envolé.
Et comme des oiseaux noirs, il passe dans son texte des
angoisses, des peurs paniques. il sème des menaces à
l’orée des mots. une grande violence tapie peut soudain
éclater comme dans une musique de sibelius. cette violence
semble provenir du fond de la terre en fusion.
Il est comme un humble paysan saisi par l’effroi de l’invisible,
de ce qui ose apparaître à la tombée de la raison.
Le mal rôde, la nature est partout présente, mais elle demeure
et nous passons.
Dans le non-dit passe l’essentiel. et parfois le mystère d’un
cri soudain nous transperce. de toute façon, nous avons
été amené « au-delà de ce qui est dit. »
Entre bruissement de l’enfance et craquement de la glace,
Vesaas tisse le fragile et le différent. un chant de pureté
monte de ce livre. on doit s’avancer vers lui avec
la même prudence que sur un lac gelé, et bien tendre
l’oreille au moindre froissement de bruit.
Palais de glace est un château de poésie.
l’abîme est en nous, seule la neige de l’amour colmate
ses fêlures. la mort n’est plus alors que l’ordre naturel,
une tension finale et la cascade figée de la solitude laisse
entrevoir une présence.
La frontière entre la vie et la mort est abolie.
Le palais de glace nous emprisonne comme il retient unn,
la petite fille figée dans l’au-delà.
a tous les désaccordés du monde, exilés riant à l’orée du
givre et nous dit d’entendre les avertissements muets de
la Nature.
Cette écriture m’a bouleversée et, après avoir adapté et
joué Neige de Maxence Fermine, j’ai demandé à Joël
Jouanneau d’adapter pour la scène, ce chef-d’oeuvre
qu’est Palais de glace.
Ce sera la suite d’un travail théâtral que j’ai commencé
avec Neige il y a quelques années.
Stéphanie Loïk
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