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On purge bébé !

+ d'infos sur le texte de Georges Feydeau
mise en scène Emeline Bayart

: Note de mise en scène

Je souhaite ancrer la pièce vers 1900.


Le travail sera essentiellement porté sur le texte, sur la relation entre les personnages: grande tenue et folie au service de l'auteur seront les mots d'ordre. Il ne s'agit pas ici d'« actualiser » Feydeau mais plutôt de creuser son écriture jusqu'à faire transparaître l'essence de la situation, du texte, des personnages et bien sûr sa drôlerie, sa fantaisie, sa tragédie. La modernité viendra dans le travail de fond de décorticage des situations, bien plus que dans l'obsession d'ancrer la pièce aujourd'hui, ce qui n'apporterait pas grand-chose à sa singularité.


Le travail sera musical ou sous-tendu par de la musique, ponctué par des chansons pour la plupart contemporaines de Feydeau. Il faut savoir qu’avant 1864,les vaudevillistes se devaient d’insérer des couplets chantés dans leurs pièces et d’ailleurs chez Feydeau, on retrouve des parties chantées dans certaines pièces.


Pour moi, Feydeau écrit ses pièces comme des partitions musicales. Rien qu’en observant l’écriture c’est significatif : on le voit par la ponctuation, le nombre de points d’exclamation, d’interrogation, de suspension, et dès qu’on se met à lire, on sent rapidement les changements de couleurs, comme des changements de tonalité, des changements de rythme également. Même si bien évidemment c’est par le travail qu’on fera apparaître le plus précisément le sens de la pièce, on perçoit rapidement la musicalité au sein du texte.


Par le biais du chant, de la musique et du jeu chanté, je désire mettre en lumière l'état des personnages aux endroits paroxystiques de la pièce et pointer l'envers de ce qu'ils disent, comme un plongeon psychanalytique qui dépècerait leur pensée à des moments précis. L'expérience des récitals m'a montré à quel point, le jeu chanté offre un état de transcendance extrêmement savoureux.


Ici, les chansons ont été écrites autour de l’époque de Feydeau afin d’offrir une continuité de langage avec le texte de et afin qu’il n’y ait pas de dissonance. Elles sont placées à des moments choisis,souvent des moments d’apogée et elles offrent aux différents protagonistes, en l’occurrence au couple Follavoine/Julie, un espace, une sorte d’antichambre qui leur permet d’exprimer essentiellement leur ressentiment, leur haine, leur souffrance, leur cruauté. Soit (et c’est important de le souligner par rapport à l’espace défini, notamment pour la lumière), ce qui est chanté n’est vu/entendu que des spectateurs (c’est comme une expression de la pensée du personnage, un plongeon dans son inconscient) soit, la chanson est sciemment exprimée devant un ou plusieurs autres protagonistes, et lancée comme une provocation.


Il y aura des fois où la musique sous-tendra des moments d’apogée et où elle offrira notamment la possibilité d’une pantomime:je pense à l’instant où Chouilloux découvre qu’il est cocu. Il se déroule en 2 temps: Chouilloux apprend qu’il est cocu : moment d’effroi, puis il va boire la purge : il déambule dans la pièce jusqu’à ce qu’il trouve la sortie pour aller se soulager.


Je pense également à la scène de la gifle: à partir du moment où Truchet et Mme Chouilloux comprennent que Chouilloux sait qu’il est cocu, il y a une sorte de machine infernale qui se met en place jusqu’à la gifle que Truchet donne à Follavoine qui serait comme un coup de percussion dans un orchestre.


Parfois la musique va accompagner certains moments ludiques : le jet de pot de chambre par exemple et peut-être même que le piano pourra prendre en charge les différents coups de sonnettes puisqu’on prend a priori le parti de n’avoir aucun son artificiel.


La musique est là pour offrir une dimension supplémentaire : de poésie, de folie, de fantaisie et pour prolonger, voire souligner la musicalité déjà bien présente dans le texte et on tâchera, bien évidemment de rendre tout cela très cohérent...


Feydeau inscrit la plupart de ses pièces à Paris et c’est très souvent mentionné. Soit il évoque un lieu public connu, par exemple, pour n’en citer que deux : chez Maxim (dans la Dame de chez Maxim), le nom d’une rue, Roquepine (dans le Dindon). Ici, c’est Rose au début de la pièce qui comme pour se justifier de son ignorance quant aux îles Hébrides dit je cite: « Y a pas longtemps que je suis à Paris, nʼest-ce pas... ? ».


La pièce est représentée pour la première fois en 1910, vingt ans environ après la construction de la Tour Eiffel qui s’érige en 1889 pour l’exposition universelle qui se déroule à Paris et qui commence en mai de la même année. Et elle est devenue le symbole de la capitale française.


Il y aura une tour Eiffel dans le spectacle qui sera à la fois le symbole de Paris mais aussi métaphoriquement, la représentation du symbole masculin et par extension, la représentation du pouvoir (intériorisé par le masculin comme par le féminin) : ce symbole phallique voyagera à travers les différents combats: Follavoine/Julie, Follavoine/Toto, Chouilloux/Julie, Chouilloux/Toto.


Sans mauvais jeu de mot, le mâle est souvent ébranlé dans On purge bébé, soit par ces dames (c’est Julie qui « porte la culotte » ici et sa mauvaise foi parfois la fait devenir écrasante face à son mari), soit par Toto, 7ans, qui incarne l’image de la toute-puissance de l’enfant tyrannique. Il est important de souligner que si Toto n’avait pas été constipé ce jour-là, les choses auraient pris une tout autre tournure...


Follavoine, chef de famille sera littéralement chassé à la fin de la pièce, lessivé, anéanti, par son propre fils qui lui-même finira vainqueur dans les bras de maman.


Par ailleurs, Chouilloux qui représente le pouvoir : (de tous les protagonistes, c’est lui qui occupe la place la plus élevé dans la hiérarchie sociale, c’est lui qui va statuer sur le choix des pots de chambre pour l’armée française et qui va finalement décider de la suite de la carrière du fabricant de porcelaine qu’est Follavoine). Donc Chouilloux va se trouver tout à coup mis à nu, dévoilé, finalement face à cet état de fait : il est cocu (ce qui est important ce n’est pas tellement qu’il soit cocu, c’est surtout que cette information révélée par Julie soit de notoriété publique) et cette annonce sidérante le fait littéralement « dégringoler de l’échelle. »


On tentera donc, de manière ludique, puisque le théâtre donne à voir, de faire un parallèle entre la Tour Eiffel et la représentation phallique qu’elle propose : on se rendra compte au fur et à mesure de la pièce que l’état de toute puissance voyage entre les différents protagonistes, hommes et femmes confondus, et que chacun va recevoir à un moment ou à un autre le retour de bâton qu’il aura lui-même asséné.

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