: La vie n’est pas un songe
Par Gabriel Calderón (traduction Adel Hakim)
Comment je joue, je mets en scène et j’écris.
J’aime bien imaginer le texte comme la carte d’un pays
inconnu. Nous partons tous en voyage en vue de découvrir
ce pays et nous savons que finalement l’important sera de
traverser le pays et non pas de respecter la carte. Le texte
est une idée, un guide possible, mais en chemin il faut
se laisser tomber amoureux et se préoccuper surtout de
l’expérience réelle qu’offre la scène. Il n’en demeure pas
moins que le texte doit être précis, doit être une oeuvre
forte, terminée, suggestive, qui invite à visiter ce pays,
mais sans jamais que cet appel soit la chose primordiale. Il
ne s’agit pas de produire des oeuvres, il faut faire du théâtre
et, dans ce mystère, nous sommes tous des créateurs à
égalité de condition, amenant chacun nos connaissances
aussi bien que nos doutes et notre ignorance.
La récupération de la dimension politique.
Le théâre que je pratique actuellement et qui m’intéresse
est un théâtre philo-fasciste pour un public bien-pensant
qui ne recherche que son plaisir. Quel merveilleux monde
de dégoût, de colère, d’indignation, d’ennui et de fureur
nous avons abandonné pour la drogue du rêve et du
divertissement. Nous avons tellement pris soin du public
qu’il s’est endormi et qu’il veut seulement que nous le
suivions en lui racontant un beau rêve pour qu’il ne
se réveille jamais. Il s’agit de donner au public un peu
du chocolat qu’il aime savourer, il s’agit d’utiliser le
divertissement et le rire, mais pour le tromper, le déranger,
lui dire en face certaines choses alors qu’il a payé sa place
pour en entendre d’autres.
La récupération de la dimension fantastique.
Il s’agit en même temps de revendiquer le droit de
penser, de réfléchir et de philosopher. Il s’agit d’imposer
au spectateur un travail ardu, une participation réelle à la
pensée, une interpellation honnête à partir de la scène.
Il ne s’agit pas de révéler une vérité, mais de révéler un
mensonge sous une forme qui demande un grand travail
au spectateur afin qu’il rejette ce mensonge. C’est une
belle guerre des mensonges intelligents contre les vérités
paresseuses.
La science-fiction, ou sa respectable soeur de la littérature
nommée « genre fantastique », offre à l’art contemporain
une merveilleuse possibilité de repenser et d’aborder
des thèmes qui seraient directement rejetés s’ils étaient
abordés d’une autre manière. Le fantastique met en crise
le modèle établi en utilisant une intervention magique qui
contredit les lois naturelles conventionnelles. Si, de plus,
ce modèle est complexe, la crise générée par l’intervention
fantastique est fascinante et commence à offrir et montrer
les limites des conventions.
Le fantastique comme stratégie et le politique
comme objectif. Il s’agit de suggérer, au lieu du songe
tranquillisant, un cauchemar inquiétant. Un cauchemar
qui nous maintient attentifs, qui nous réveille anxieux et
qui, au lieu de nous émouvoir, nous remue et nous trouble.
Du théâtre du rêve au théâtre du cauchemar.
Il s’agit de montrer que le possible cauchemar, le plus
proche de la réalité, consiste à nier le rêve, à nous
confronter à un moment de véritable réflexion sur les
possibilités de notre existence. Bannir le théâtre qui
tranquillise, la fable pleine d’espérance, l’histoire qui nous
endort et nous promet un doux repos. Ecarter cette paix
anesthésiante qui nous fait voir seulement les bons côtés
de la vie et nous pousse à vivre tranquillement tout en
côtoyant les cris étouffés des injustices et de nos propres
incohérences, je répète PROPRES. Dans cette récupération
du théâtre politique, nous ne dénonçons pas l’autre,
nous ne dénonçons pas une vérité occulte, nous crions
aux quatre vents ce que nous-mêmes, par commodité ou
faiblesse, avons décidé d’ignorer.
Il s’agit de se réveiller et de vivre, parce qu’en fin de
journée, le théâtre, comme la vie, n’est pas un rêve.
Gabriel Calderón
février 2013
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