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: Note d’intention

« Je lis « Les Naufragés » en 2006, alors encore étudiant. Coup de poing, ou coup de flingue. C’est un livre qui marque, qui déplace, qui imprègne. Humain, sociologique, médical, philosophique, entre témoignages, récits et études… Un livre qui marque toute une génération. Qui fait parler de lui. Beaucoup. Patrick Declerck se met en scène avec pudeur, raconte s’être déguisé une nuit en clochard pour se faire embarquer au centre de Nanterre, décortique ses journées de consultation psychiatrique à recevoir des SDF, explique comment il tente de les soigner, de les suivre, essaye de comprendre, d’analyser, avoue les aimer autant qu’il les hait. Document puissant qui laisse le lecteur abasourdi. Penaud aussi. Que faire ? Comment agir ? Illusion ?


« Le sang nouveau », lui, je ne l’ouvre pas. Je le garde, de déménagement en déménagement, de carton en carton, d’hésitation en hésitation. C’est une question de timing. Ou de hasard. Un bouquin, on y plonge jamais vraiment quand on l’a prévu. Et durant l’été 2012, l’horreur SDF s’impose. Je dévore l’écriture, l’humour, la férocité, le badaboum boum. Ca se dévore ? Je suis gêné mais hypnotisé. Je viens de monter un spectacle sur notre rapport au rock (« CLUB 27 » - héros du rock morts à 27 ans), sur notre génération qui ne fait plus de choix, qui attend que nos parents nous poussent à prendre la Bastille. J’ai envie de révolution, de politique et de poétique, et voilà que ce texte me pousse à agir. Car ce pamphlet est bien plus féroce que Les Naufragés. Un coup de gueule. Une réaction au succès médiatique du premier. Donne de quoi rire et être mal à l’aise. Le ton n’est plus à l’étude mais aux remarques vitriolées. Le constat est brutal. Drôle et cinglant. Théâtral.


Avec cette matière, ce récit humain et médical d’un côté, ce pamphlet percutant et décomplexé de l’autre, il y a de quoi faire un spectacle. L’évidence est là. Traduire sur scène une parole nécessaire. Ambiguë. Touchante. Agaçante, parfois. Politique, nécessairement. Humaine, avant tout.


Car On a fort mal dormi est un spectacle sur cet homme, Patrick Declerck. Sur son voyage. Ses choix. Ses rencontres. Ses contradictions. C’est à travers lui, à travers son expérience que nous entrons dans cette étrange famille des SDF : dans sa complexité, ses fureurs, ses fragilités, ses impasses, ses urgences. Et que l’on se rend compte que lui, nous, les SDF, parlons d’une même voix. Les frontières sont si perméables.


Il n’est pas un guide mais plutôt une porte d’entrée, un regard possible, un point de vue sur le monde. C’est aussi un spectacle sur nous, artistes et citoyens qui nous demandons en toute humilité que faire d’un tel sujet. Comment en parler. Comment être juste. Comment ne pas devenir moralisateur ou imposer un quelconque jugement. C’est un spectacle sur notre regard, ému, distancié parfois, maladroit aussi, honnête toujours. Sur notre lien à cette oeuvre importante. C’est un spectacle qui donne à entendre et à voir, qui place au centre du récit des SDF grâce à des portraits, des transcriptions de témoignages, des récits posthumes. Qui invoque ces hommes et ces femmes que nous ne savons jamais comment aider, aborder ou ignorer. C’est un spectacle sur notre humanisme et notre lâcheté, sur nos remords et nos aveuglements, sur nos combats et nos révoltes, sur nos puissances et nos impuissances ».

Guillaume Barbot

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