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Nouveau roman

mise en scène Christophe Honoré

: Entretien avec Christophe Honoré

Propos recueillis par Jean-François Perrier

Quel pourrait être le message du Nouveau Roman ?


Christophe Honoré : Il est très simple. Il affirme que c’est la forme du récit qui fait le récit, et non le récit lui-même. Il affirme qu’il n’y a pas de sujet, et que l’écrivain, après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale et des guerres coloniales, ne doit pas devenir un expert, c’est-à-dire une instance qui sait et qui délivre un message à ses lecteurs, mais au contraire, la personne qui ne sait pas et dont les livres doivent porter la trace de son incapacité à exprimer le monde. Aujourd’hui, j’ai un sentiment très fort de retour en arrière par rapport à ces questions.


Comment imaginez-vous la pièce que vous écrivez sur les écrivains du Nouveau Roman ?


Ce ne sera pas un « Son et Lumière » sur le Nouveau Roman… Au théâtre, mon plaisir réside avant tout dans la direction des comédiens. Donc, rencontrer des acteurs pour leur dire : « Toi, tu vas être Marguerite Duras, toi, tu vas être Nathalie Sarraute, toi, tu vas être Alain Robbe-Grillet », c’est très excitant. Surtout si j’ajoute qu’il n’est pas question de faire des biopics sur ces écrivains. Nous ne rechercherons pas la ressemblance avec eux, ni le mimétisme : il s’agira plutôt d’être « traversés » par eux, et pas seulement par leurs oeuvres. Cette incarnation d’un écrivain sur le plateau me fascine parce que, souvent, c’est raté au cinéma, à cause des conventions et des convenances. Sur scène, il y aura donc des corps d’écrivains qui ne seront pas réduits à leur fonction, à leur écriture, à leur travail. Et des corps souvent jeunes, pour jouer des femmes et des hommes qui ne l’étaient plus vraiment, afin d’établir immédiatement une distance par rapport au réel. C’est pour la même raison que des femmes vont jouer des hommes. J’espère qu’ils formeront une bande, à l’image de celle formée par leurs personnages.


Que feront-ils donc entendre de plus ?


Pourquoi, par exemple, un écrivain ressent-il le besoin d’être lu ? Comment s’organise le système de reconnaissance liée à l’oeuvre littéraire ? Quelle est la nature du rapport que l’écrivain entretient avec les autres ? Comment, dans ce groupe du Nouveau Roman, sont nés les leaders, les fils préférés, et comment les laissés-pour-compte et les oubliés ont-ils vécu ces différences ? Je veux que la fiction soit faite également de ces sentiments de jalousie, de rivalité, qui peuvent naître dans un groupe, un peu comme dans une famille. Il y aura des confrontations, qui ne seront pas que littéraires. Car le désir de tous ces écrivains est d’être considéré comme le meilleur écrivain français de son temps. Comment expliquer autrement le discours plein de bile de Claude Simon, revenant sur ses avanies précédentes, alors qu’il reçoit le prix Nobel de littérature en 1985 et qu’il est enfin reconnu ?


À partir de quels matériaux constituez-vous le texte de cette fiction ?


La première étape a été de nourrir les comédiens en leur donnant les oeuvres écrites des auteurs qu’ils allaient incarner, mais aussi des documents annexes : interviews, journaux intimes, vidéos. La seconde étape, ce sont les improvisations des acteurs. Souvent maladroites au début du travail, elles sont devenues très riches au fur et à mesure du processus de rencontre entre l’acteur et son auteur. Je retranscris très fidèlement le texte qui naît de ces improvisations. J’ai donc un livret très imposant, à partir duquel je construis mon texte. À cela, j’ajouterai des documents plus particuliers, plutôt de l’ordre de l’entretien, et si cela est juridiquement possible, des extraits des oeuvres des écrivains. Je cherche à faire une fiction qui ne soit pas chronologique, qui connaisse des sauts dans le temps. Elle aura sans doute une vertu pédagogique de découverte pour les spectateurs, mais les interrogera aussi sur leurs attentes vis-à-vis de la littérature. Je voudrais que le public comprenne le projet esthétique de ces écrivains, au-delà des anecdotes et des références. Il n’y aura aucune ironie, mais peut-être un peu de cruauté dans le traitement de ces écrivains et du groupe « révolutionnaire » qu’ils représentent encore aujourd’hui.


Qui sera donc présent sur le plateau ? Uniquement les écrivains posant, en 1959, sur le perron des Éditions de Minuit à la demande de leur éditeur, Jérôme Lindon ?


Non, puisqu’il y a deux auteurs du Nouveau Roman absents sur la photo qui seront néanmoins sur le plateau : Marguerite Duras, qui fut écartée, et Michel Butor, qui est arrivé en retard. J’ai souhaité que Catherine Robbe-Grillet accompagne le groupe sur le plateau, ainsi que Françoise Sagan, parce qu’elle avait des liens avec certains membres du Nouveau Roman. À l’époque, elle est l’écrivain le plus lu, et donc le plus vendu. Elle a une jeunesse et une insolence qui la placent hors des romanciers traditionnels, même si son écriture est, elle, extrêmement classique. Elle a par ailleurs signé le Manifeste des 121 pour l’insoumission en Algérie, comme la quasi-totalité des membres du Nouveau Roman.


Sur quelle période historique s’étend votre pièce ?


À l’origine, je pensais restreindre notre travail aux années 1959 et 1960, c’est-à-dire entre le moment où est prise la photo et le moment où la quasi-totalité de ceux qui figurent sur la photo vont signer le Manifeste des 121, en septembre 1960. Mais très vite, j’ai compris qu’il ne fallait pas se limiter dans le temps, parce que l’histoire du groupe dépasse largement ces dates. Par conséquent, j’ai eu envie de questionner des écrivains d’aujourd’hui, de leur demander si le Nouveau Roman a compté pour eux et s’il est vrai que le cliché, qui affirme que le Nouveau Roman a asséché la fiction, est justifié. Leurs réponses, toutes différentes, ont cependant un point commun : celui de considérer que les écrivains du Nouveau Roman leur ont ouvert un espace de liberté dans lequel ils peuvent mieux s’exprimer aujourd’hui. J’ai donc étendu notre recherche, au lieu de la circonscrire, comme je l’avais imaginé au début.


Quels sont ces romanciers contemporains ?


Marie Darrieussecq, Éric Reinhardt, Gilles Leroy, Charles Dantzig, Geneviève Brisac, Lydie Salvayre, Alain Fleisher, François Bégaudeau, Philippe Sollers, Dennis Cooper, Mathieu Lindon, Tanguy Viel.


Vous êtes réalisateur. Le cinéma sera-t-il présent sur le plateau ?


Il y aura une part de vidéo, qui vient d’une envie de créer des effets de montage. Cette vidéo pourra soit contredire ce qui est en train de se jouer, soit illustrer les propos tenus. Cette question du cinéma est capitale, puisque Marguerite Duras et Alain Robbe-Grillet ont consacré un temps important de leur vie créative au cinéma. Ils ont été adulés et détestés en même temps pour ces activités. Curieusement, ce cinéma est très anti-Nouvelle Vague et personne ne se revendique plus de ce cinéma-là. Vous serez également présent au Festival d’Avignon avec deux autres de vos textes, La Faculté, mis en scène par Éric Vigner, et Un jeune se tue, monté par Robert Cantarella et interprété par les élèves acteurs de l’École de la Comédie de Saint-Étienne…. Ces deux textes sont consécutifs à la rencontre avec ces deux metteurs en scène, qui avaient envie de monter des pièces qui revendiquent un certain romanesque. Dans le cas d’Éric Vigner, il y avait le désir de travailler avec les comédiens de son Académie, ces élèves venus d’univers géographiques et culturels différents. À l’époque où il m’a commandé cette pièce et où je l’ai écrite, il n’avait pas encore choisi les comédiens. Avec Robert Cantarella, nous avons construit une amitié professionnelle depuis de nombreuses années. J’étais très heureux qu’il me commande un texte. Les deux pièces tentent de prendre pour modèle la jeunesse d’aujourd’hui. Elles portent les traces de mes obsessions : sensualité des familles, violence du sentiment amoureux, désir de solitude. J’espère qu’elles se répondent, comme une stéréo qui serait désynchronisée.

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