Narcisse règne en maître sur notre époque. Sociologues, écrivains, analystes, ils sont nombreux à avoir mis en relief le rôle joué par les réseaux sociaux dans l’exacerbation de cette tendance et dans notre propension à l’autofiction.

Dans sa pièce, Guillaume Corbeil fait plus que décortiquer celle que l’on pourrait appeler la génération Facebook, en créant une forme dramaturgique férocement efficace directement inspirée de la façon dont nous nous exprimons sur les réseaux sociaux. Le tout ressemble à une interminable liste dans laquelle trois femmes et deux hommes étalent leurs goûts, se présentent par le biais de leurs profils Facebook, dans d’interminables listes de « J’aime », de photos et de vidéos. Qui se cache vraiment derrière ces masques de réseaux sociaux, reste longtemps très flou. Façonnant leur image à coups de phrases convenues, ils cherchent en vain à échapper au formatage que leur impose leur moyen de communication. Ce qui débute dans la pièce captivante de Guillaume Corbeil de manière anodine, se transforme au fur et à mesure en une macabre tombée des masques d’une société profondément superficielle.

Guillaume Corbeil a réussi un coup de maître et offre, derrière une succession de phrases en apparences banales et sans substance, une redoutable analyse sociale. Tout y est : l’incapacité de soutenir une conversation de fond, l’esprit de compétition, la surexposition de l’intimité, l’incursion du consumérisme jusque dans le lien affectif et dans la pratique culturelle, l’engagement humanitaire qui donne bonne conscience mais qui ne s’appuie sur aucune nécessité réelle et qui témoigne d’une véritable méconnaissance des sujets, le besoin de reconnaissance de l’autre et de son regard bienveillant voire admiratif, les distorsions temporelles qui vont de l’accélération à la perte de conscience du temps qui passe, la solitude et l’angoisse causées par le manque de sens et de liens... le tout avec humour et à un rythme implacable.