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Nos solitudes

+ d'infos sur le texte de Delphine Hecquet
mise en scène Delphine Hecquet

: Notes sur l’écriture et la mise en scène... (1)

par Delphine Hecquet

De l’héritage à la transmission, des secrets à l’imaginaire, du qui sommes-nous au qui aimerions-nous être, quels sont les chemins qu’emprunte la construction de notre identité ?

Les arrière-plans au cinéma, dans la peinture, et surtout dans la photographie m’attirent depuis toujours. J’y trouve un certain apaisement à ce qu’on y représente des personnages « secondaires », qui n’ont pas le droit à la parole, sans doute parce que j’ai de la tendresse et de l’empathie pour ceux qui restent à l’écart, mais qui entendent tout.


Ce sentiment du hors cadre, je l’ai connu dès l’enfance. J’ai été élevée à la campagne, dans un village isolé sans commerces alentours, et j’ai connu très tôt l’ennui, l’errance, la solitude. Il fallait faire au moins une heure de route pour rejoindre la grande ville et y retrouver des amis. Il faut puiser dans ses ressources profondes pour que la solitude ne devienne pas de la tristesse. L’imaginaire devient alors le seul allié contre l’ennui, la peur de l’isolement, et ouvre des paysages infinis.


Reliée intimement à ce sujet, dès l’enfance, et plus tard, adulte, en photographiant des inconnus pris dans un moment de solitude, il me fallait chercher autour de ce sujet universel, vertigineux, parfois effrayant mais pourtant essentiel à nos vies.


La solitude, base de notre identité.


La solitude est commune à tous les êtres humains, elle est même le « noyau de l’être » selon le psychanalyste Donald W. Winnicott, qu’il nomme « self », produit d’un processus qui repose sur les soins maternels continus permettant au tout-petit de ras-sembler ses morceaux pour en faire une totalité, et ainsi accéder au sentiment d’être, le sentiment d’être réel, le sentiment d’être une personne spécifique et singulière, le sentiment que le corps et la psyché sont en lien (La capacité d’être seul, D. W. Winnicott, préface de Catherine Audibert). Au tout début, donc, il faut être deux pour être seul (la mère et l’enfant) et l’individu de-venu mature sait ainsi protéger son noyau de solitude sans rompre le contact ni avec lui-même, ni avec les autres.


La capacité d’être seul s’apprend. Mais ultérieurement, toute expérience de séparation, de perte, d’éloignement, d’indifférence, de trahison, d’incompréhension ou d’infidélité pourra mener de manière douloureuse et angoissante le sujet à sa condition d’être seul. (...) L’incapacité d’être seul peut alors générer chez certains des angoisses terrifiantes, proches de ce que Winnicott nomme les agonies primitives, ... c’est-à-dire les sensations archaïques de se morceler, de ne pas cesser de tomber, de ne pas avoir de relation avec son corps, de ne pas avoir d’orientation, d’être isolé complètement parce qu’il n’y a aucun moyen de communication. L’absence comme la présence de l’autre semblent produire sur ces sujets et en eux une sorte d’excès toxique qu’ils ne peuvent contenir et qui les dé-borde. Deux types de besoin s’imposent alors à eux : celui de la dépendance (où la solitude est exclue) et celui du repli (où l’isolement est un refuge).


Ce qui ressemble à un paradoxe se trouve au creux de Nos solitudes, à cet endroit d’équilibre, ou de déséquilibre, qui compose notre être.


Nous avons généralement tendance à stigmatiser la solitude, à la voir comme un mal à combattre, une souffrance moderne. La solitude est analysée, jugée,et peu souvent regardée comme essentielle à la construction de notre identité Je n’ai pas envie de parler de la solitude, -ce qui serait une nouvelle fois tenter de la définir, de la scruter et d’en faire une étude sociale-, je veux qu’elle guide notre regard au cours d’une histoire dans laquelle des êtres ont du mal à se comprendre, à tisser des liens.


On plonge dans le parcours affectif d’une famille sur trois générations.


La famille au cœur de Nos solitudes.


La famille, berceau de notre construction, prend naissance dans le lien. C’est aussi l’endroit où chacun tente de trouver sa place, de l’occuper et d’en partir. La rupture du lien étant sans doute ce qui définit le mieux la solitude, au sein d’une famille, la solitude devient encore plus manifeste, brutale, et essentielle.


Après Les Évaporés, ma précédente pièce sur les disparitions volontaires de personnes au Japon, où il était déjà question d’interroger la construction de l’identité en passant par sa déconstruction, jusqu’à l’oubli de ce qui était donné par la naissance, puis imposé par la société, Nos solitudes pour-suit cette réflexion sur l’identité dans un contexte familial, premier microcosme d’une réalité bien plus vaste, le monde.


Faire parler l’enfance tire le fil de ce que j’ai entamé depuis Balakat, mon premier texte, sur la naissance de la parole, un des enjeux essentiels de notre construction, où le « je » tente de trouver sa place, où elle permet d’exprimer une pensée, d’entrer en contact avec autrui.

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