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: Entretien avec Tania de Montaigne

Propos recueillis par Pierre Notte

Le projet de ce texte, de cette histoire, vient-il de vous ? Comment est-ce arrivé ?


Le texte est d’abord un livre qui est né grâce à l’énergie et à la patience de deux femmes, Caroline Fourest et Fiammetta Venner, qui ont créé chez Grasset une collection biographique « Nos héroïnes. »
Le principe : des biographies écrites par des femmes, historiennes, romancières, dramaturges, sur d’autres femmes qui ont fait l’Histoire mais que l’Histoire aurait oublié pour une raison ou une autre.
Lorsque Caroline et Fiammetta m’ont demandé s’il y avait une femme inconnue ou peu connue sur laquelle j’aimerais écrire, je me suis souvenue d’avoir lu dans le cadre d’une recherche que je faisais sur Rosa Parks, deux lignes sur une adolescente noire vivant en Alabama à la même période, dont on disait qu’elle aurait pu être une figure du mouvement des droits civiques, si elle n’avait pas eu une vie si débridée. C’était Claudette Colvin. Je n’en savais pas plus, il était même possible que ce que je trouve ne soit pas du tout intéressant, mais les éditrices ont pensé que ça valait le coup de se lancer dans cette histoire. Restait à faire l’enquête et à trouver une forme pour le livre, car l’autre particularité de la collection Nos héroïnes c’est que celle qui écrit ne peut pas être extérieure à ce qu’elle raconte, elle doit être dans le livre d’une façon ou d’une autre.
J’étais la troisième de la collection, la première étant Michèle Perrot, grande historienne, qui amenait le lecteur à découvrir avec elle comment on déterre un personnage historique, quel est le cheminement de l’historien. J’étais la première romancière de la collection, donc il fallait trouver comment faire entrer la littérature dans la vérité de la biographie. C’est ce qui m’a pris le plus de temps, trouver la forme du livre et aussi comment être dans le récit sans faire écran à Claudette Colvin ni à toutes les femmes incroyables que je découvrais à mesure que mes recherches avançaient.


Cette femme, la connaissez-vous ? L’avez-vous contactée ?


Je peux dire que je la connais un peu puisque j’ai passé deux ans à travailler sur son histoire, sa vie, reconstituer son itinéraire et démêler le vrai du faux. Car entre les deux lignes que j’avais trouvées sur elle et ce qu’elle était vraiment, il y avait un monde.
Quand j’ai commencé le livre, mon premier réflexe a été de la contacter puisqu’elle est toujours en vie, elle a 81 ans, mais elle a fait savoir qu’elle ne voulait plus parler de cette histoire, ce qui se comprend quand on sait la violence que furent pour elle ces années. C’est quelqu’un qui aura passé une vie à être abandonnée, oubliée, mise de côté, lâchée. Ce qui est frappant dans les images que j’ai vues d’elle, les interviews, c’est qu’elle a un regard et une voix de petite fille, elle n’a pas mué. On sent aussi qu’elle est très angoissée, un peu apeurée d’être mise en lumière. J’ai pris le parti de ne lui faire dire dans le livre que ce qu’elle a réellement dit.
Je n’ai pas voulu inventer ou prendre sa place, ce qui aurait été la nier à nouveau.


Avez-vous suivi l’élaboration de la mise en place de la pièce, sa mise en scène ?


Quand Stéphane Foenkinos a lu le livre, il a tout de suite vu comment il voulait l’adapter et le mettre en scène. Il souhaitait garder la structure de narration et n’envisageait pas de prendre des comédiens, il voulait que la narratrice du livre, moi en l’occurrence, soit aussi celle qui raconte l’histoire sur scène.
Ce qui m’a paru totalement incongru et inenvisageable ! Quelques mois plus tard, il m’a fait lire son adaptation qui gardait la structure du texte mais resserrait le propos uniquement sur Claudette Colvin. Je trouvais remarquable qu’il réduise le livre à vingt pages par de simples coupes et que dans ces vingt pages tout soit dit. En tant qu’auteure, j’avais toute confiance en ce qu’il allait faire. En revanche, j’ai continué à refuser de porter ce projet sur scène.
Il n’a pas lâché son idée, et un jour, il m’a dit qu’on pouvait essayer de trouver une formule où je lirais dans le cadre d’une mise en scène avec des projections. Là, ça m’a paru être plus dans mes cordes.


Quelle devait être pour vous la priorité de la mise en scène, de votre interprétation ?


J’aurais refusé ne serait-ce que d’essayer si Stéphane m’avait demandé de jouer quelqu’un d’autre que moi. Là, ça m’aurait semblé inapproprié.
Avez-vous peur du plateau ?


J’ai voulu ne pas faire des trucs d’angoisse comme on en vit dans les cauchemars : oublier le texte, perdre mes dents sur scène, saigner du nez...
Quand on créait la pièce au CDN d’Orléans, j’ai eu une fois la sensation d’avoir une paralysie du cou, les paupières qui clignotent et un début d’arthrose du genou, le tout en essayant de continuer comme si de rien n’était, un régal !


Mais êtes-vous quand même heureuse sur scène, vous sentez-vous à votre place ? En lisant la réponse précédente on peut douter ! Mais ce qui me plait, c’est que le spectacle tel qu’il a été pensé fait de moi une passeuse, je deviens l’instrument qui permet de faire connaitre l’histoire d’une femme ordinaire et extraordinaire, sa volonté de fer, sa fragilité, sa candeur au milieu d’une époque et d’un système absurde. Il y a de l’Antigone chez Claudette Colvin, et j’espère que c’est ce qui reste une fois le spectacle fini. Elle pourrait être nous, nous pourrions être elle.


  • PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE NOTTE
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