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No World/FPLL


: Entretien

Propos recueillis par MichèLe Pralong pour le ThéâTre Vidy Lausanne

Dans votre présentation de «No World/FPLL», vous parlez de la beauté du monde. Vous écrivez: elle «est lisse, démocratique, sucrée, multiculturelle, blanche et saturée». Pouvez-vous commenter ce constat, ironique ou désabusé, qui semble être au coeur de votre prochain spectacle?


Xavier Klaine : C’est un constat assez optimiste finalement plutôt qu’ironique. Apocalyptique donc optimiste.


Ruth Rosenthal : Dans «Jérusalem Plomb durci», comme dans «No World/FPLL», on a une vision politique, un avis, mais on ne veut pas les déposer comme ça sur le plateau. C’est plus intéressant de découper un morceau de réalité et de laisser les spectateurs comprendre, chercher, décider ou ne pas savoir. «Jérusalem Plomb durci» était un spectacle politique mais pas un acte politique. C’est très différent. L’activisme est utile mais la voie est étroite. C’est peut-être pour ça que ce spectacle a posé des problèmes aux activistes des deux côtés. Dans «No World/FPLL», c’est pareil. On propose ce nouveau produit, le Monde, lisse, démocratique, prétendument multiculturel, fait par les blancs: on le partage beaucoup, jusqu’à la saturation. Nous voulons faire ressentir l’embarras agréable que nous ressentons tous face à cette saturation.


XK : Dans cette société de flou, l’indignation rassurante et connectée nous empêche de chercher un nouveau modèle. Ce qui n’est pas très important: il n’y a pas de véritables enjeux de toute façon parce qu’on ne meure pas de faim en masse là où l’on s’indigne sur un ordinateur Apple. Que l’on cache la pomme avec un autocollant Occupy ou pas. Alors on share un lien, on hérite doucement, on prend en photo son assiette et ses gosses. C’est plutôt joli, addictif, et en effet embarrassant.


Mais quelle est votre position, alors? Et pourquoi monter un spectacle?


RR : Peut-être qu’on est nihilistes malgré nous. Ou alors plutôt situationnistes. Avec notre théâtre documentaire, on désire capter les flux, nos apriori face à nos postures, zoomer et les restituer.


XK : Ce qu’on cherche aussi, c’est ouvrir la possibilité d’une troisième voie pendant le spectacle. Le FPLL. Va-t-on réussir ou échouer ? On n’en sait rien encore. Nous travaillons avec Guy-Marc Hinant, l’idéologue wallon du FPLL. Ce qui nous intéresse au fond, c’est la nausée perpétuelle. L’embarras doux que nous ressentons tous. C’est comme les résolutions de l’ONU sur la question israélopalestinienne: l’ONU «reste saisie de la question». Nous aussi, nous restons saisis. On est populistes, mais sans haine, sans ennemi. Est-ce possible? On verra.


RR : Toute notre matière première pour ce spectacle est documentaire. On vit dans un mille-feuilles, dans un fourre-tout énorme, et ce que l’on veut montrer, ce sont les nimbes, l’engourdissement, l’état dans lequel on se trouve après le choc de la saturation, la saturation est installée depuis longtemps déjà, elle ne choque plus personne. On est dans l’aprèssaturation. C’est simplement notre monde.


XK : On peut tomber sur une vidéo de massacre partagée sur Facebook et alors, mécaniquement, on scroll, scroll, scroll, et le regard se vide par le bas, la pensée se perd dans l’existence de l’autre... On retrouve dans ce grand dénominateur commun qui nous contient tous, et dont Ikea ou Hollande-Merkel pourraient être la métaphore. Ce grand dénominateur commun qui nous laisse pourtant complètement abandonnés, seuls.


RR : L’esthétique du spectacle nous importe peu. Elle est assez inintéressante, rien d’extraordinaire. Il s’agit d’images et de fonds d’écran projetés, de chorégraphies virales, uniquement du déjà vu. Je suis sur scène, archétype, accompagnée de performers eux aussi archétypes. Et ce que je vais faire ressemble à une présentation de Steve Jobs, à une Ted conférence, à un guide bouddhiste ou völkisch, tout ça c’est pareil, c’est les «ideas worth spreading». Nous allons partager le monde tel que nous sommes, avec les spectateurs. Notre montage, tant vidéo que scénique, est toujours un peu brut, qualité MP3. Célébrons ce simulacre qu’est le monde, le théâtre subventionné et les nuggets. Célébrons ce purgatoire. Afin de le cerner un peu mieux peut être. On a tous les pouvoirs. Ce monde, c’est nous. Nous sommes le système.


XK : Le «eux», «ils», «illuminati», ça nous ennuie. Nous l’avons construit et choisi ce monde embarrassant. En tout cas, notre monde qui like, qui share et qui mange. Nous sommes des consommateurs hystériques et des allocataires déprimés et nous sommes tous touchés, émus et bercés par le plus grand dénominateur commun.


RR: C’est la vie. On est tous au même niveau. On est tous englués, on attend la fin et on se brûle gentiment dans la lumière. Life is beautiful.

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