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Nkenguégi

mise en scène Dieudonné Niangouna

: Entretien avec Dieudonné Niangouna

propos recueillis par Jean-François Perrier

Jean-François Perrier : Vous présentez Nkenguegi comme la dernière partie d’une trilogie, après Le Socle des vertiges et Sheda. Aviez-vous dès le début de l’aventure un projet de trois pièces ou la trilogie s’est-elle construite au fur et à mesure des projets ?


D.N. : Quand j’ai écrit Le Socle des vertiges, je n’avais pas le projet d’une trilogie. Mais quand j’ai écrit Sheda, je me suis aperçu très vite que cette pièce était née parce qu’il y avait eu Le Socle des vertiges avant, c’est-à-dire que la première appelait la seconde, comme la seconde a appelé naturellement la troisième : Nkenguegi.


Les trois pièces sont très différentes…


D.N. : En effet, il ne s’agit pas de trois versions d’une même pièce, ou de trois parties d’une même pièce. Par contre, il y a une thématique qui traverse les trois textes. J’avais besoin de cette troisième pièce pour finir cette parenthèse dans mon oeuvre que j’avais ouverte avec Le Socle des vertiges mais sans savoir que cette parenthèse allait être si longue dans ma vie d’auteur.


Quand vous parlez de cette trilogie, vous donnez l’image d’une famille de trois frères…


D.N. : Oui... La troisième pièce serait comme le petit frère, le dernier, le cadet de cette fratrie. Quand je pense à cette aventure, je m’aperçois qu’il y a des éléments communs aux trois pièces, comme des gènes communs.
Certains personnages, avec des noms différents, pris dans des histoires différentes, ont des traits de caractère très proches. Le personnage, par exemple, que je jouais dans Le Socle des vertiges qui arrivait de la salle pour monter sur scène est très proche du voyageur dans Sheda et du personnage de De Lafuenté dans Nkenguegi.
Mais ce n’est qu’une fois les pièces terminées que j’ai pu faire ces rapprochements tout à fait involontaires.


Certains thèmes traversent aussi les trois pièces ?


D.N. : Oui, comme les allers-retours entre le passé, souvent inscrit dans une réalité historique ou politique, et le présent qui est plutôt une fiction. Les personnages de ce présent veulent toujours projeter quelque chose pour l’avenir tout en portant un poids sur les épaules, celui du passé. Ils sont pris dans une sorte de vertige entre un trop lourd passé, un présent fatal et ils sont « dingues » d’un futur dont ils rêvent. C’est quelque chose que j’inscris très consciemment dans toutes mes pièces.


Un de vos personnages dans Nkenguegi se demande pourquoi il devrait « faire de la géopolitique au théâtre ». N’est-ce pas aussi un de vos thèmes récurrents que de faire de la géopolitique dans vos pièces ?


D.N. : Je veux plutôt faire la critique de la géopolitique ou tout au moins de l’interroger. Plus particulièrement dans Nkenguegi qui s’inscrit vraiment, et très volontairement, dans le présent car je voulais clore la trilogie en l’inscrivant dans le monde d’aujourd’hui.


Ce qui est nouveau dans Nkenguegi c’est d’inscrire le théâtre dans le théâtre, avec une troupe de comédiens qui joue une version contemporaine du Radeau de la Méduse…


D.N. : Quand j’ai fini d’écrire le premier monologue de la pièce, celui d’un homme perdu en mer, d’un point de vue poétique je n’avais plus rien à dire. Ce petit homme dans son bateau était devenu le symbole de tous les autres personnages et de tout ce qui devait arriver dans la pièce. Ensuite, il fallait donc que je construise la pièce, scène par scène, en faisant des croquis sur des feuilles vierges.
J’ai choisi les grands thèmes, les sous-thèmes, tout ce qui allait composer ce puzzle qui s’appellerait Nkenguegi. Immédiatement, j’ai compris que certaines situations ne pouvaient se résoudre que si elles se passaient dans un théâtre, que si j’écrivais une pièce dans la pièce qui permettait de mettre à nu les questionnements et pas seulement de les faire entendre. Cela me permet aussi de mettre en abyme ma propre écriture théâtrale.


Votre écriture alterne les monologues et les scènes très dialoguées. Pourquoi ?


D.N. : Le monologue d’un personnage, c’est ma façon de faire comprendre au lecteur ou au spectateur ce que j’entends dans ma tête quand j’écris, c’est comme si je parlais à haute voix. Le dialogue permet de poser ou de résoudre un ou des conflits en faisant entendre des opinions différentes.
Le monologue permet de ne pas être dans le jugement, dans la nécessité de choisir une ou l’autre des propositions que peuvent faire les personnages dans le dialogue. Dans le monologue, le personnage « prend la route » et peut se permettre d’errer dans sa tête, d’enchaîner en passant du coq-à-l’âne, prendre un exemple puis un exemple contraire en étant toujours dans la problématique qui le nourrit au moment de sa prise de parole. Je me permets aussi dans le monologue de traiter des sujets que je ne peux pas traiter de manière directe dans le dialogue, en faisant « délirer » le personnage sans que celui-ci soit obligé de structurer sa pensée. Ce déploiement de soi, cette volonté de se débarrasser de la pierre que l’on peut porter sur le coeur n’est possible, pour moi, que dans le monologue.


Votre pensée personnelle serait plus présente dans les monologues ?


D.N. : Certainement. Mais j’aime écrire des dialogues, j’aime trouver le petit détail à partir duquel il va y avoir échange de paroles, j’aime le jeu qui s’installe entre deux personnages à travers leurs répliques.
Je peux déplacer un mot dans une phrase très volontairement pour qu’un débat se développe sur le déplacement de la langue.
Ce sont de faux quiproquos, des pseudo-situations qui m’amusent. Très souvent, cela se passe entre des couples de personnages, genre Laurel et Hardy, genre personnages de Beckett.


Les didascalies sont très présentes, un peu folles quant aux possibilités de réalisation sur un plateau de théâtre. A quoi servent-elles ?


D.N. : Je suis très fier de les avoir écrites car, à la lecture, elles dégagent un certain comique dû sans doute à leur folie. Elles appartiennent à l’histoire, elles rajoutent de la beauté aux scènes qui précèdent ou qui suivent.
Elles poussent à l’extrême les situations. Je me suis demandé si je devais les conserver dans le texte car elles m’avaient surtout permis d’imaginer des paysages, des lieux, sans aucune limite « technique », sans penser à la réalisation pratique sur le plateau, donc très librement. Il y a une scène au Congo avec le pont du Djoué, un commissariat de police au loin, etc. etc. etc.


Quelle solution avez-vous trouvée pour les conserver dans le spectacle ?


D.N. ; Comme je vais avoir la chance de pouvoir utiliser des images vidéo, je peux tourner en filmant les vrais paysages devant lesquels les comédiens joueront, « comme si » ils étaient au Congo. L’idée étant que c’est le personnage qui crée dans sa tête le paysage que l’on voit sur l’écran. Mais j’aime bien aussi l’idée de les faire entendre par la voix des comédiens.


Elles sont d’une grande qualité littéraire…


D.N. : Oui parce qu’elles participent de l’histoire, parce que ce sont des scènes à l’égal des scènes avec les comédiens. Elles précisent les lieux très divers que traversent mes personnages, un loft du Vie arrondissement de Paris, un théâtre où les comédiens répètent leur pièce autour du Radeau de la Méduse, des lieux publics à Brazzaville. Elles doivent donc être présentes puisque notre décor sera quasiment nu, avec quelques accessoires.


C’est le tableau de Géricault qui vous semble l’image la plus forte pour parler de ce qui se passe aujourd’hui en Méditerranée ?


D.N. : La situation est tellement grave et tellement violente que le tableau est, en effet, l’image la plus immédiate qui m’est venue. Ce qui est bizarre, c’est que nous avons été surpris par l’ampleur de ce mouvement de migration alors qu’on aurait pu s’en douter compte tenu de la violence qui règne dans ces pays du Proche ou Moyen-Orient.
Il est vrai que, pendant longtemps, les migrants pouvaient prendre des moyens de transport plus secure, plus organisés mais qu’aujourd’hui l’insécurité est permanente d’autant que ces gens ne peuvent pas attendre d’avoir des visas. Ils risquent leurs vies jour après jour et la fuite devient un moyen de survie, même dans ces pires situations de danger. Sans doute ont-ils le sentiment qu’en restant là où ils sont, ils sont voués à une mort rapide...
Donc mourir pour mourir, il vaut mieux le faire en tentant quelque chose pour survivre.


Le théâtre a-t-il une force particulière pour parler de cette violence qui s’étale sur les écrans jour après jour ?


D.N. : Ce qui est important, c’est la force de « complexité » qu’il possède. Il n’a pas peur d’exprimer des points de vue différents, de confronter les idées. Au théâtre nous ne sommes pas au catéchisme, on ne peut pas dire simplement : « Dieu est bon. Aimez-le. ».
On peut poser la question de Satan. Au théâtre, il faut assumer toutes les contradictions des positions, parfois très fermes, que l’on propose. C’est la richesse du théâtre de ne pas endoctriner mais de faire réfléchir, et surtout de prendre le temps de cette réflexion. J’appelle ça le temps de l’autopsie, le temps de la réparation, le temps de la sorcellerie. Le public vit en temps réel ce parcours complexe que des êtres vivants font devant lui et il partage l’insécurité de ce parcours. Des êtres de chair et d’esprit dans lesquels le spectateur peut se reconnaître. Le théâtre crée un temps pendant lequel ce partage est possible, c’est un espace poétique de liberté.


Comme dans les deux premières parties de votre trilogie vous donnez encore une place importante à la musique ?


D.N. : Il y aura beaucoup de musique avec pas mal de percussions. Mais compte tenu de la présence manifeste d’un personnage dérivant sur son radeau qui revient régulièrement dans le cours de l’histoire, je voulais qu’on puisse entendre la violence de cette situation avec une musique qui soit forte, cassante. Le personnage ne dérive pas gentiment et en douceur sur son radeau et il faut donc faire entendre un corps qui se brise, qui se noie, qui va sans doute être englouti.
Mais il n’y a pas que le corps du naufragé qui supporte la violence. Tous les corps de ceux qui sont dévorés par des systèmes politiques ou économiques, qui explosent à la suite des actions violentes, doivent être présents aussi. La musique sera là pour faire entendre cette violence faite au corps.


Vous êtes auteur, metteur en scène et interprète de ce texte…


D.N. : Oui, j’ai voulu rester présent dans cette dernière étape de l’aventure au milieu de ceux que j’ai invités à la partager. Jouer c’est aussi assumer complètement mon premier geste artistique qui est d’écrire. Je suis un être têtu et je vais de l’ alpha à l’oméga des aventures que j’initie en remplissant la première feuille blanche.



Entretien réalisé par Jean-François Perrier en avril 2016 pour la MC93

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