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Nico - Sphinx de glace

+ d'infos sur le texte de Werner Fritsch traduit par Pascal Paul-Harang
lecture dirigée par Michel Didym

: Nicô, ô Nicô

par Jean-Pierreur Thibaudat - Temporairement contemporain N°2, 2018

Née en allemagne elle fut mannequin pour Coco Chanel, compagne de Jim Morrison, de Philippe Garel, égérie d'Andy Warhol, partenaire de Lou Reed, chanteuse du mythique Velvet underground. Le dramaturge allemand Werner Fritsch écrit pour cette icône un chant poétique, Nico-sphinx de glace.

Ne vous attendez pas à une pièce jouée. Seule en scène, entourée et soutenue par deux musiciens créateurs, sous la direction allumée de Michel Didym, l’actrice Odja Llorca nous ensorcelle dans un monologue sinueux comme un serpent, un lamento chiffonné de souvenirs, de chansons et hanté de fantômes. L’auteur allemand Werner Fritsch au chevet de Nico, remue des cendres, ranime des flammes. Son chant, son poème naissent de la nuit.


« Où est mon tambourin Maureen », demande Nico. Les initiés comprennent : Maureen, c’est Maureen Tucker. Elle jouait des percussions sur le premier album du Velvet Underground dont Nico était la chanteuse vedette. Les deux femmes ne s’aimaient guère.


Werner Fritsch gave ainsi sa pièce de références, multiplie les associations plus personnelles comme ce rapprochement entre l’héroïne dont ne pouvaient plus se passer les veines de Nico ni les inventeurs allemands de cette drogue. Peu importe que l’on connaisse ou pas les plis de la vie de Nico, que l’on repère ou pas les citations que fait l’auteur de poètes allemands incandescents comme Friedrich Hölderlin ou Paul Celan. La poésie est la clé première et dernière de cette vie réinventée de Nico. Quel chant d’amour et de cruauté !


De son vrai nom Christa Päffgen, Nico est née à Cologne en 1938. Sa mère et elle se réfugient à Lübbenau fuyant les bombardements soviétiques, « coquelicots descendus du ciel /le feu ». L’auteur revient sur cette enfance allemande et s’y attarde en la rêvant : « dans la tête de mort rampait le serpent noir/ de mon enfance à Lübbenau au cimetière/ quand on jouait sans arrêt à l’enterrement / ou à la résurrection des morts ». C’est un temps de berceuses et de visions saisissantes, comme celle de son père revenant blessé du front de l’est. Un temps d’amour filial à une époque où sa « peau n’est pas encore marquée par les stigmates de la drogue ».


Si Werner Fritsch évoque brièvement d’autres pans de la vie de Nico, il privilégie sa rencontre avec Jim Morrison, « Jim Le Lizard King ». Pas du tout fleur bleue, leur histoire d’amour. « Il était violent saluait la foudre / comme le burin de l’Apocalypse / Le temps passé ensemble comme un couteau / Il a tout de suite cogné / il m’a mis le coeur en miettes / maintenant c’est une mosaïque de bonheur gelé ». Un amour où drogue et poésie sont inséparables. Jim croit en Nico, en son talent, sous cocaïne il la rend « accro à Blake ».


Pour l’auteur, même cet amour-là est inséparable de l’Allemagne. La tête de mort et le serpent noirs du cimetière allemand, cités plus haut, Nico les voit « à travers les orbites vides » de Jim à côté d’elle, enflé de drogue, associant sa machine à écrire sur laquelle il écrit ses poèmes à un serpent à sonnette. Tout se mêle et s‘imbrique et comme si son destin dictait sa conduite : c’est à Berlin que Nico donne son dernier concert peu de temps avant de mourir à Ibiza.


Les lignes ou les vers consacrés à son fils Ari (le fils qu’elle dit avoir eu avec Alain Delon, ce dernier ne le reconnaîtra jamais mais la mère de l’acteur s’occupera du rejeton) viennent un peu contrarier ce tête- à-tête entre Jim et Nico, mais c’est pour mieux nous parler de la mort car « tout est une cérémonie de la mort en fin de compte ». À commencer par les chansons de Nico.


Warhol revient pour tourner ce film qu’il n’a jamais pu tourner de son vivant, un Orphée inspiré de Cocteau dont Jim Morrison aurait joué le rôle-titre aux côtés de son Eurydice, Nico. « Je ramène Jim à la lumière par le chant / Je te lèche et blanchit chaque tache / Je te lèche et extirpe Dieu de tes globes oculaires / Avec la langue noire du paradis Jim / - Chante ou tu vas couler ».


Odja Llorca-Nico ne coule pas, elle déplie la verticalité du chant. Elle ne cherche pas à imiter la voix de Nico. Elle la retrouve en la transposant. Tout comme Werner Fritsch transpose la vie de Nico. Jean-Pierre Thibaudat

Jean-Pierre Thibaudat

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