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Neva

mise en scène Paul Golub

: Note de mise en scène

C’est une chose rare que de lire un auteur de théâtre et de sentir toute de suite un univers fort, maîtrisé, essentiel. Ça a été le cas pour moi quand j’ai découvert l’oeuvre de Guillermo Calderón et notamment Neva, sa première pièce, que j’ai pu lire en anglais.
Portrait imaginaire et pénétrant de la grande comédienne Olga Knipper, la pièce est avant tout une méditation sur l’acte théâtral : Y-a-t-il un sens à faire du théâtre quand le monde brûle ? Si le lien avec le monde contemporain - et notamment avec l’histoire récente du Chili - n’est jamais rendu explicitement, il est néanmoins toujours présent dans l’écriture et donne à l’histoire une profondeur et une résonnance toute particulière : on est à la fois dans le passé, en 1905 en Russie, et quelque part ici maintenant, que ce soit au Chili lors de la prise du pouvoir de Pinochet ou en Egypte lors des manifestations qui ont fait basculer Moubarak.
Que signifie faire du théâtre aujourd’hui ? A l’image des oeuvres de Tchekhov, les questions que Neva posent ne se prêtent pas à des réponses simples mais s’ouvrent sur d’autres, dans un jeu de miroirs vertigineux. En effet, au fur et à mesure que les trois acteurs tentent de répéter, les éléments de leur propre vie et du monde violent qui les entoure vont surgir et brouiller dangereusement la frontière entre leur art et leur existence.
Plongés dans une sorte de rêve éveillé ou d’improvisation hallucinée, les comédiens frôlent une forme de folie à l’image de celle qui enflamme la société russe. Entre passé et présent, vérité et mensonge, mémoire et imagination, rires et larmes, les acteurs/personnages naviguent en huis clos, sur un ring de boxe théâtrale où ils s’affrontent. Ici, les mots et les enjeux sont les reflets lointains, souvent triviaux, mais néanmoins révélateurs, des évènements qui bouleversent le monde extérieur.
Si l’ombre de Tchekhov plane ironiquement sur ce petit monde vaniteux, celle de Stanislavski apparaît aussi en filigrane. En effet, Olga Knipper, disciple de ce Maître du théâtre russe, incarne à elle seule cette recherche d’exigence qui a révolutionné l’art théâtral. Car Neva est aussi une réflexion sur le jeu et la recherche d’authenticité de l’acteur.
La mise en scène, à l’image de ces multiples enjeux, doit se resserrer d’une manière radicale sur les comédiens. La scénographie sera donc d’une grande simplicité, faite d’un petit plateau surélevé, de quelques chaises, une sorte de condensé de toutes les salles de répétitions du monde. Ce plateau sera bordé d’une deuxième aire de jeu, espace transitionnel où les personnages parlent, se préparent et boivent. Les acteurs seront habillés simplement, leurs costumes devant à la fois évoquer une autre époque et, subtilement, la nôtre.
Lieu de travail, lieu de rêve, la salle de répétitions ouvre ici sur le tout possible de l’imaginaire. Mais à son tour, l’imaginaire n’est-il pas aussi soumis au réel d’un monde qui refuse de s’oublier ? Plongés corps et âmes dans cette dialectique brillamment menée par Guillermo Calderón, les comédiens de Neva sont nos contemporains.

Paul Golub

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