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: De Jaz à Nema

Le projet : sa genèse.


JAZ
En 2005-2006 : nous présentons JAZ, une pièce de Koffi Kwahulé, qui parle d’un viol. Une production du Théâtre Varia. Une mise en scène de Denis Mpunga. Une interprétation de Carole Karemera avec Julie Chemin à la contrebasse. Le titre de la pièce est en fait celui du personnage féminin qui parle. Elle s’appelle JAZ.
Alors que la pièce est présentée, nous recevons un courrier de WBI (Wallonie-Bruxelles International) faisant un appel à projet, en vue, au Burundi, « d’une création à partir de témoignages de femmes victimes d’agressions sexuelles et actions de sensibilisation de la population à cette problématique, en partenariat avec les acteurs de la société civile ». Jaz est un spectacle dont la thématique entre en résonance. Dès l’origine, il ne s’agit cependant pas de répondre à l’appel en se contentant de proposer une présentation du spectacle, mais de s’en servir comme un point de départ.
Aller à la rencontre de ces femmes burundaises victimes de violence (une maison d’accueil existe au Burundi), amener ces femmes à témoigner par le biais de rencontres et d’ateliers (une équipe), faire de ces témoignages un matériau scénique (Koffi Kwahulé) pour que ces femmes portent leur propre parole sur scène (Denis Mpunga). JAZ au Burundi est né.


JAZ AU BURUNDI
Le projet est remis et accepté. Il comprend également un volet de sensibilisation des populations à travers la création qui en résultera.
2007 : Premier voyage au Burundi. Valérie Kurevic et Carole Karemera entrent en contact avec la Maison des femmes de Bujumbura, capitale du Burundi, qui héberge des femmes victimes de violences sexuelles perpétrées pendant la guerre et au-delà, ainsi qu’avec divers acteurs de la société civile impliqués dans la prévention des violences sexuelles, qu’elles soient domestiques ou bien « civiles ».
2008 : Deuxième voyage au Burundi. Denis Mpunga rejoint Carole Karemera et part à la rencontre de ces femmes. Par le biais d’ateliers, de laboratoires et d’échanges, les paroles se délient. Les témoignages sont précieux. Ils sont remis dans la plume de Koffi Kwahulé qui ne rencontre pas ces femmes, qui ne le souhaite pas. Seuls leurs mots doivent servir. L’émotion de la rencontre ne peut en aucun cas venir le troubler. C’est à New York qu’il écrira la pièce. Valérie Kurevic poursuit quant à elle, son lien sur place avec les acteurs de la société civile.


LES RECLUSES
2009 : Troisième voyage au Burundi. Le texte Les recluses est là. Les femmes qui ont parlé ne seront pas toutes sur scène. Certaines se désistent. Un groupe de 10 femmes se forme qui ira jusqu’au bout du spectacle. Une actrice professionnelle s’insère parmi elles pour les aider sur scène à la théâtralisation du texte. Un autre groupe de 10 produira des petites formes de sensibilisation qui seront jouées dans des quartiers, des associations, en introduction à des débats sur le statut de la femme. UDUKINO – (mot en kirundi pour dire « petites formes ») - se diffuse comme une traînée de poudre sur un terrain miné.


2009 - le 22 mai : première du spectacle Les recluses en kirundi au Centre culturel français de Bujumbura et mise sur pied d’un festival où se rencontrent le public, les équipes artistiques et les gens de la société civile qui travaillent sur la même thématique.


La création est suivie d’une tournée à Butare, à Kigali, à Bukavu et à L’Ile de la Réunion. Les débats qui suivent les représentations sont animés. Au Congo comme au Burundi, au Rwanda ou à l’Ile de la Réunion, il faut que cessent ces violences à l’encontre des femmes. Elles ne sont pas plus de l’ordre de la fatalité qu’elles ne sont « culturelles » comme certains le prétendent. Il fut des temps ancestraux où avec le recul, le statut de la femme était plus enviable. Aujourd’hui, aussi longtemps que les auteurs de violences contre les femmes pourront commettre leurs crimes sans peur d’être poursuivis ou condamnés, le cercle de violence ne sera jamais brisé. La discrimination par le genre doit être éliminée. Nul ne peut plus ignorer la loi, nul ne peut plus ignorer qu’elle doit être appliquée.


2009 – novembre : présentation du projet LES RECLUSES, au Théâtre Varia, à Liège (Festival Voix de femmes) et à Anvers (Zuidpershuis), Le spectacle est joué en kirundi. Sur-titrage en français et en NL.


Les recluses est à la fois un spectacle à part entière et le résultat d’un projet conscient, d’une rencontre humaine, d’une force conjuguée d’hommes et de femmes. Il prouve une fois encore que les planches de théâtre où l’on s’expose sous des traits qui ne sont pas les siens mais qui y ressemblent, peuvent laisser percer un rayon de lumière qui redonne la force de lutter, de ne pas se soumettre. Le spectacle est une forme d’hommage à ces femmes Burundaises d’un grand courage et qui viennent pour la première fois en Europe avant de repartir dans leur pays d’origine. Nous retiendrons d’elles leur métamorphose au fil des représentations. La première fois que nous les rencontrons, elles ressemblent à des hommes. Leurs corps et leurs visages se sont comme masculinisés. C’est un choc de le constater. Est-ce pour se protéger ? Pour ne pas se distinguer en tant que femmes ?
Au fil des représentations, elles retrouvent une forme plus féminine et leur visage s’éclaire. Sans doute se sentent-elles à l’abri : le modèle des femmes rencontrées à Bruxelles est un choc pour elles autant qu’elles sont un choc pour nous. Elles restent pourtant fragiles. Les médecins doivent intervenir souvent. Plus tard, alors qu’elles sont reparties il y a quelques mois à peine, nous apprenons le décès de l’une d’elle. Funny Akimana n’a pas résisté. Sa vie n’était qu’une suite de violences répétées.
Au Burundi, comme dans tous les pays meurtris par des guerres incessantes et intestines qui justifient à elles seules tous les abus, toutes les violences, des femmes sont cruellement victimes des hommes. C’est presque un fait acquis. Une normalité qui s’est établie au point de se prolonger longtemps après que les guerres soient terminées. Les hommes ont baissé les armes, mais la femme est-elle devenue à ce point réifiée, animalisée, déshumanisée qu’ils la violentent encore comme ils lèveraient le coude pour boire un verre, sans même désir ni soif ? Presque innocemment, comme par habitude ?
Il est difficile pour ces femmes-là qui subissent ces hommes-là de parler. Impossible même pour certaines. La bouche reste bâillonnée, muselée. Le silence peut être un havre de paix.
Mais peu à peu, en allant à la rencontre de ces femmes enfermées et emmurées, on peut les amener à dépasser leurs peurs, à oser prendre la parole, à oser témoigner : que leur réclusion n’était pas une fatalité à perpétuité, et qu’elles peuvent devenir les actrices distanciées de leur propre destin.
Nous savons que le groupe formé autour du projet continue ses actions militantes à travers le théâtre. Les petites formes voyagent toujours. Ces femmes qui ont parlé et qui sont montées sur scène ne sont plus tout à fait les mêmes. Elles se sont métamorphosées, libérées. Le théâtre a pour elles été une thérapie. Leur souhait reste de se servir de leur délivrance pour amener d’autres femmes à parler et à « se sauver », comme elles. Une compagnie de théâtre s’est formée dans la Maison des Femmes. Son nom : INABUNTU (La dignité de la femme).


« La femme » est un sujet. «L’homme », « ce battant », également. Le Burundi est à l’autre bout du globe. Mais que se passe-t-il sous nos chaumières ?


Le projet, aujourd’hui.


JAZ/EUROPE
D’après la banque de données nationale de la police intégrée de 2007, on a recensé en Belgique, 96 meurtres et tentatives de meurtres sur des femmes, pour la plupart victimes de leur compagnon. On a recensé également près de 1.400 femmes déclarées victimes de coups, blessures, menaces et viols, soit 116 femmes par mois. Ces chiffres peuvent donner le vertige ou faire froid dans le dos, ils augmentent pourtant chaque année, paraît-il…C’est donc que les chiffres ne suffisent pas et ne sont pas assez parlants.


A partir de l’expérience menée au Burundi, s’enclenche un projet qui a obtenu le soutien des fonds Européens et dont l’auteur reste Koffi Kwahulé et l’initiateur et coordinateur, Denis Mpunga.


A Naples (Galeria Toledo), à l’Ile de la Réunion (Théâtre des Bambous), à Bruxelles (Théâtre Varia) : trois théâtres ont décidé de s’unir autour du sujet, avec un metteur en scène et deux acteurs par théâtre.


Un même processus de travail que sur Les recluses s’est opéré: rencontre de femmes violentées, issues de milieux sociaux différents et qui témoignent à Naples, à Bruxelles, à L’Ile de la Réunion.


Koffi Kwahulé doit livrer une pièce qui, à la différence du Burundi où dès l’origine du projet, il s’agissait d’amener des femmes à parler puis à interpréter la violence, doit tenir compte d’une distribution et d’un cadre professionnel à part entière. Le théâtre peut-il être un vecteur d’intervention et de sensibilisation ?


Nema … Lento Cantabile semplice
Septembre 2010 : découverte de la pièce écrite à Naples. La pièce qui avant son écriture portait le titre provisoire de Si mon fils voulait te tuer, il l’aurait déjà fait[1] – s’appelle aujourd’hui qu’elle est écrite: Nema … Lento Cantabile Semplice.


En bref, la pièce met en jeu deux couples (Nema/Nicolas – Idalie/Benjamin) et deux milieux sociaux : l’un est au service de l’autre. Une mère (Marie, mère de Benjamin : celui du milieu « aisé »), et une jeune femme (Taos) en quête d’une relation amoureuse par le biais de petites annonces.


Nema et Idalie deviennent complices. Idalie perce le secret de Nema (les coups visibles qui deviennent systématiquement le coin de la table sur lequel Nema se heurte) et Nema pressent que celle qui perce son secret va connaître un destin similaire … Une mère qui infantilise son fils et le pousse à être « l’homme » de la maison par rapport à sa femme en pleine ascension sociale. Taos, au milieu des cinq, jeune, en quête d’aventures et qui suscite le désir. Et Nema : la femme au service du couple et de son mari qui la frappe à la mesure de son amour pour elle. Nema qui subit sans broncher – le silence est havre de paix - depuis son enfance. Une vie dont le destin est tracé d’avance et qui lui dit amen (Nema à l’envers ?)


Nema : du nom de ce personnage qui ressemble à Jaz.
Lento : d’une situation qui s’installe petit à petit, lentement mais inexorablement.
Cantabile : comme une chanson dont on connaît le refrain ou une mélodie à l’air triste contre laquelle on ne peut rien.
Semplice : parce que c’est simple comme le destin.


Koffi Kwahulé – que ce soit avec Les recluses, ou avec ce texte (à paraître également aux Editions Théâtrales et vraisemblablement, en version italienne également), a formidablement répondu au projet global.
Au-delà de l’histoire racontée (une femme violée et abusée avait décidé de ne plus se soumettre pour convoler en de justes noces …), Les recluses est un texte matériau qui a permis à Denis Mpunga d’en faire une polyphonie et un travail de groupe de ces femmes Burundaises unies par une même histoire.


Nema … Lento Cantabile Semplice est une pièce écrite à la fois sur base des témoignages et des rencontres faites dans les trois pays, et d’une distribution donnée.


La mère est italienne. Benjamin, son fils : Alexandre Trocki (Belge). Sa femme, Idalie (Cécilia Kakonda, belgo-congolaise). Nema : Alessandra D’Elia (Italienne) / Nicolas : David Erudel (Réunionnais) Taos : Cécile Fontaine (Réunionnaise).


La réalité du plateau déterminera aussi l’usage des langues.

Notes

[1] Si mon fils voulait te tuer, il l’aurait déjà fait vient d’un témoignage d’une Napolitaine, laquelle, battue par son mari, est allée parler à sa belle-mère de la violence de son fils. Celle-ci a levé les épaules et rétorqué cette phrase qu’on retrouve en réplique dans la pièce.

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