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Negerin (Négresse)

mise en scène Franz Xaver Kroetz

: Entretien avec Franz Xaver Kroetz

réalisé par Bernard Debroux - Extrait d’Alternatives Théâtrales n°100

Bernard Debroux : Pourriez-vous nous expliquer l’histoire de l’écriture de Negerin ? En consultant votre site Internet nous apprenons qu’il remonte assez loin et serait basé sur un texte inédit écrit à la fin des années 60 «In memoriam Günter Opperman».


F.X. Kroetz : Sur la première page du manuscrit, il y a une annotation «1965 interruption». Le titre est « In memoriam Günter Opperman. Ein deutsches Kammerspiel (Une pièce de chambre allemande)». Le manuscrit (neuf pages dactylographiées, écrites bien serré) se trouvait dans le tiroir condamné d’une table de chevet, qui me servait de bureau. Je l’ai retrouvé dans les années 70 et l’ai publié chez Suhrkamp dans les pièces complètes.
Quand ma mère est morte en 1989, j’ai retrouvé, dans une des lettres que je lui avais écrites, une ébauche pour une éventuelle suite, dépeinte de manière très drastique, sans doute dans le but de l’effrayer.
A partir de là, j’ai écrit en 1997 la pièce actuelle. Elle a été publiée en 1998 chez Rotbuch, je ne me souviens absolument PLUS qui était « Günther Oppermann », ni à quelle histoire je faisais allusion à l’époque.
A l’époque, j’aimais beaucoup prendre des affaires criminelles courtes, horribles et simples pour en faire des pièces de théâtre, comme pour WILWECHSEL et HEIMARBEIT ou aussi MÄNNERSACHE. Cette pièce fait partie de la première série.



B.D. : NEGERIN n’a jamais été monté jusqu’à ce jour. Pourquoi aucun théâtre n’en a-t-il voulu ? Peut-on parler d’une censure?


F. X. Kroetz : Je n’ai jamais fait en sorte que cette pièce soit montée, tout simplement parce que je ne voulais pas que quelqu’un la monte.
C’est ma toute première pièce réaliste, on pourrait s’imaginer qu’on l’aurait montée de manière scandaleuse, spectaculaire et horrible. Ce qui serait, pour celui qui la monte, un évènement, et pour l’auteur, une merde, parce que ça ne lui apporterait rien.
C’est pour cela que je n’ai jamais proposé cette pièce, et pour ce qui est d’une lecture, mes pièces ne sont plus lues depuis longtemps, à plus forte raison dans un recueil publié chez Rotbuch... Qui s’intéresse encore à l’auteur Kroetz ? Pas un chien.



B.D. : Pourquoi voulez-vous monter ce texte aujourd’hui ? Quelle importance a-t-il pour vous ?


F. X. Kroetz : Eh bien, maintenant, à la fin de mon écriture, de ma vie, peut-être, maintenant c’est passionnant : NEGERIN est le début de toutes les pièces de Kroetz, c’est avec ceci, dans ce manuscrit conservé par hasard (j’ai brûlé beaucoup de choses que j’ai écrites, j’ai continuellement fait table rase) que tout a commencé, que tout est capturé, frais, jeune, vierge. Et comme la pièce - je trouve- ne s’accorde pas du tout avec le théâtre allemand contemporain, j’aurais trouvé dommage qu’elle soit démolie ici en Allemagne.
Et puis, Jean-Louis Colinet est venu, avec son offre affreusement séduisante, de faire quelque chose au Festival de Liège, très loin, dans une langue étrangère, avec des conditions de production merveilleusement libres, sans que je ne ressente de concurrence. Et là, je me suis souvenu de cette pièce formidable, sexiste, brutale, magnifique que j’ai écrite à mes débuts... Et ce qui me plaît tellement chez Kroetz, ce jeune metteur en scène c’est qu’il n’explique rien, il ne donne pas de leçons, il ne juge pas, il décrit, simplement. Comme je connais bien ce jeune Kroetz, je sais : il écrit sur un milieu qu’il connaît !!! C’est authentique, plastique, merveilleusement terrible. Exactement ma pièce, un jeune Kroetz pour un vieux Kroetz...


B.D. : Je crois que pour vous la question du langage, de la langue est essentielle. Vous vous considérez comme un auteur du Sud (Bavière) où il y a une tradition de théâtre populaire – (on retrouve ce langage populaire chez Brecht aussi qui est augsbourgeois). Comment adapter cet esprit en français ?


F. X. Kroetz : Oui, avec le langage, soit tout s’écroule, soit tout éclot. Depuis le début, j’ai fait remarquer que ça n’a pas de sens de faire la pièce dans un français « connu ». Il faut trouver un « truc », pour obtenir ce langage saignant, violent et à la fois complètement indifférent. Ce langage se tait. Oui, c’est ça, encore une fois : ce langage se tait. Et ça, il faut y arriver. Plus tard seulement, je suis devenu un auteur des pauses, du silence, je l’ai utilisé consciemment. Dans NEGERIN tout ça est encore tout à fait inconscient, presque pas voulu, vrai. L’auteur sans effort permet un langage silencieux, sans fioritures, il est prêt à tout. Magnifique. Pardon, je chante sans cesse mes louanges, mais cette NEGERIN n’est plus vraiment de moi. Ca fait trop longtemps.



B.D. : Comment concevez-vous le travail de metteur en scène de vos propres pièces ? Cherchez-vous à provoquer le public, à le faire rire ? Croyez-vous à la fonction de catharsis ?


F. X. Kroetz : Comme les grands metteurs en scène allemands ne montent normalement plus mes pièces, l’alternative a été de les monter moi-même. Et le metteur en scène Kroetz a offert à l’auteur Kroetz beaucoup de succès, le travail entre eux marche très très bien. Peut-être parce que Kroetz, le metteur en scène, est aussi un acteur ? C’est ce que j’ai vraiment appris, je suis un acteur du théâtre populaire du Sud, en fait ça inclut surtout le théâtre autrichien, avec Raimund et Nestroy et Anzengruber, et aujourd’hui Turrini.
Et quand je fais du théâtre, je crois à la pièce et à la vie que je veux en extraire. Et à rien d’autre. Je n’ai pas de concept, quand je commence, le concept c’est l’intelligence de la vie, de l’expérience humaine, de l’humour. Le théâtre, c’est quand même la vie, et la vie ne se laisse pas réduire.



B. D. : Dans un entretien que vous nous aviez accordé en 1982 (!) au moment où CONCERT A LA CARTE (Wunschskozert) était présenté à Bruxelles, vous étiez optimiste, disant à cette époque qu’en Allemagne il y avait une fois et demie plus de spectateurs de théâtre que de spectateurs de football. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Pensez-vous que le théâtre a toujours une fonction politique ? Si oui, de quelle manière peut-il jouer ce rôle ?


F. X. Kroetz : Je crois qu’il y a toujours plus de gens qui fréquentent le théâtre plutôt que les matchs de foot. Mais ce résultat ne s’obtient que si on fait quelques manœuvres statistiques. Et ça ne veut pas dire grand-chose, parce que ça inclut aussi toute la branche comédie musicale... Je crois, rétrospectivement, que le théâtre, tel que je l’ai connu avec Peter Weiß ou Heiner Kipphart, avait une fonction politique dans le cadre étroit du théâtre-documentaire, dont le meilleur exemple est DIE ERMITTLUNG. Sinon, le théâtre avait une compétence sociétale, et là j’inclus aussi mes pièces. Aujourd’hui, le théâtre n‘a même plus de compétence sociétale. C’est souvent sympa, et presque toujours superflu. Peut-être, survivra-t-il en tant que dernier refuge de la langue allemande, ce qui me plairait. En tous cas, je ne crois pas qu’il puisse encore renaître de ses cendres. Il est maintenu en vie par des subventions. Il se retrouve aussi face au mur, par rapport à la prolifération sauvage d’autres médias, presque toujours moins chers. Et il ne rentre pas dans notre réalité sociale. Les riches peuvent encore se payer le théâtre, les pauvres, toujours en plus grand nombre, ont d’autres soucis. Le théâtre n’atteint plus la société. La nouvelle cuisine ne nourrit pas le peuple. Mais elle est savoureuse.

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