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Nature morte avec oeuf

+ d'infos sur le texte de Camille Rebetez
mise en scène Andrea Novicov

: Présentation

L’HISTOIRE, par Andréa Novicov


Au départ, la situation semble claire. Sordide et décalée, peut-être, mais claire. Evariste est sexuellement impuissant et veut se soigner. Avec l'aide d'une vielle rebouteuse, Thérèse (dont la publicité dit que son savoir-faire "transforme petit oiseau mort en dard de guerrier"), il engage Violette, une putain bossue dont l'excroissance dorsale serait magique, et un jeune bellâtre, Jacob. Il met en scène leurs ébats espérant ainsi retrouver sa virilité.
Mais les cartes se brouillent vite. La bosse de Violette a perdu ses pouvoirs, Jacob est appelé à engrosser sa partenaire, Thérèse se fait l'entremetteuse d'une union dont on ne saisit plus vraiment qui sont les protagonistes et le projet d'Evariste prend des proportions de plus en plus effrayantes : veut-il se soigner, s'exciter par la contemplation de coïts contre nature, ou "dire merde à Michel-Ange", créer une humanité nouvelle ? Dans une langue pleinement théâtrale, qui se coule dans le rythme de la parole commune, mais qui surprend par ses ellipses et sa grammaire déviante, Camille Rebetez dépeint un univers improbable à la fois poétique et décatit. On hésite entre Tod Browning, Fellini et "le père Noël est une ordure". Dans ce monde à l'abandon, un quatuor de Monstres parfois sublimes et gracieux, nous jouent une farce tragique dans laquelle le porno affronte Michel-Ange et Tchernobyl remplace le jardin d'Eden.




REFLEXIONS DRAMATURGIQUES, par Andréa Novicov


Nature morte avec Œuf de Camille Rebetez sonne comme une énigme.
Enigme d'un titre, d'abord, qui fait image, bien sûr, mais quelle image ? On hésite. Faut-il penser à Magritte, à Betty Bossi ? Au fil de la pièce, on découvre bien qu'il y a du pictural et du culinaire dans cette histoire improbable ; on croise la figure de Michel-Ange, on y mange des patates germées, d'étranges décoctions de camomilles et de valériane. Mais quel monde se dessine entre la soupe qui bouillonne dans une caravane et les nus de la Sixtine?
Enigme aussi quant à l'histoire, aux mobiles des personnages. Parce qu'il y a bien une histoire dans Nature morte avec œuf, une histoire qui, bien qu'étrange et, de prime abord sordide, semble se dessiner clairement lors de la scène d'ouverture. Dans un monde à l'abandon, un univers forain de bordure d'autoroute, un homme, Evariste, pénètre dans la roulotte de Thérèse, une vielle rebouteuse. Les motivations du client sont claires, bien qu'il peine à les formuler: sexuellement impuissant, il en appelle aux remèdes de bonne femme de Thérèse pour soigner son mal, attiré par une annonce que la vielle sorcière a passé dans un journal : "Transforme petit oiseau mort en dard de guerrier". Hélas, la rebouteuse ne peut rien pour lui. Les guérisons miraculeuses ne sont plus d'actualité. Pour soigner ce genre de choses, aujourd'hui "il faut des statistiques, des machines qui calculent ou alors des pilules. Ça marche les pilules, mais la superstition…!" A qui la faute ? Au bon dieu ? à la science ? Non, à en croire Thérèse, tout vient de ce que la bosse de Violette a pourrit. Il fut un temps glorieux, semble-t-il, où ce monde à l'abandon que nous dépeint Rebetez conservait encore sa magie. Une heure de gloire lors de laquelle "Thérèse porte-bonheur" pouvait user des pouvoirs magiques d'une bossue, Violette, qui travaillait pour elle. Mais ce temps est loin, maintenant : Thérèse ne soigne plus que les rhumes et Violette fait le tapin.


Evariste, pourtant, va tenter sa chance et auditionner Violette. A partir de là, tout bascule. Que cherche au juste l'étrange client ? Il engage Jacob, sorte de gigolo, beau comme un dieu et lâche comme un chien et organise une succession de mises en scènes plus ou moins pornographiques qui déboucheront sur l'engrossement de Violette. Les motivations d'Evariste, Pygmalion perverti, sont plus trouble qu'il n'y paraît : de prime abord, il ne semble que vouloir soigner sa défaillance, "se guérir de la honte", mais il y a plus, bien plus. On croit d'abord à une rêverie voyeuriste, la copulation du "beau et de la bête", pour découvrir peu à peu un projet délirant et monstrueux, une concurrence avec Dieu, le rêve, digne du docteur Moreau, d'une humanité nouvelle, d'êtres qui soient à la fois des bêtes, des hommes et des œuvres d'art ? Après quoi court Violette ? L'argent ? Elle n'en récolte guère. L'amour ? Une idylle se dessine avec Jacob, mais qui tournera court. Et que veux Thérèse, bigote invétérée qui pourtant s'associe à un homme qui veut discréditer le bon dieu ? Et Jacob qui s'entiche de Violette ? Pur appât du gain ? Alors pourquoi ces déclarations d'amour ? Passion ? Alors pourquoi s'enfuit-il?


Plus la pièce avance, plus les cartes se troublent. Les personnages eux-même perdent leur contour. On ne sait plus si Violette est un monstre ou la plus belle des femmes, Evariste un impuissant minable ou le plus grand des artistes.
Dans une langue pleinement théâtrale, qui se coule dans le rythme de la parole commune, mais qui, tout à la fois déroute par ses ellipses et sa grammaire déviante, Camille Rebetez dépeint un univers improbable à la fois poétique et décatit. On hésite entre Tod Browning, Fellini et "le père Noël est une ordure". Dans ce monde à l'abandon, un quatuor de Monstres parfois sublimes et gracieux, nous jouent une farce tragique dans laquelle le porno affronte Michel-Ange et Tchernobyl remplace le jardin d'Eden.




NOTES D’INTENTION, par Andréa Novicov


Il y a dans la langue de Camille Rebetez quelque chose qui me touche en tant qu’homme, mais qui aussi séduit le metteur en scène que je suis. J'aime travailler le plateau comme une matière vivante, charnelle. Nature morte avec œuf est écrite ainsi: dans une langue savoureuse et concrète, je dirais presque gastronomique. A la fois sale et appétissante. Une parole qui rebute mais qu'on a envie de goûter. J'aime ce mélange et la façon très particulière qu'a Rebetez de jouer avec l'absurde: chez lui, le non-sens n'est pas une froide abstraction, mais une fête truculente et inquiétante.


Nature morte avec œuf est un défit pour un metteur en scène. L'auteur s'ingénie à créer des personnages irréels, physiquement monstrueux, même. Il pose des situations scéniques volontairement casse-tête, à la fois outrancières et réalistes. Tout cela demande à être vu, mais tout cela se dérobe à la réalisation. En travaillant la mise en scène d'une telle pièce, j'ai l'impression de jouer aux échecs avec un partenaire très raffiné qui avance sa dame et, un sourire aux lèvres, me lance: "et à ce coup là, qu'est-ce que tu trouve à répondre?" Un partenaire, non un adversaire. J'aime beaucoup ce jeu que Rebetez instaure entre l'auteur et le metteur en scène.


L'univers de Nature morte avec œuf est très concret. Les personnages y sont solidement dépeints et la langue de l'auteur est tout sauf éthérée. Cependant, il est très difficile de savoir où l'on se trouve exactement, à quelle époque au juste a lieu l'action et quels sont les véritables motivations de ces personnages. Ce qui me stimule dans ce monde à la fois physique et impossible a cerner, c'est qu'il est comme une périphérie de notre monde à nous. On y trouve des monstres, des magiciennes qui ont perdu leurs pouvoirs, des impuissants, des bellâtres prostitués. Devant un tel univers, le metteur en scène trouve à la fois une pâte réelle, boueuse, et une liberté infinie. Tout à la fois la densité de la matière et l'indécision de la forme à venir. Un terrain en friche, mais sur lequel mes pieds peuvent s'ancrer.


L'un des traits de Nature morte avec œuf dans lesquels je me reconnais le plus, c'est cette façon qu'a Rebetez de faire cohabiter le trivial et le sublime. Je ne suis pas un metteur en scène minimaliste ou un fanatique de la forme pure. Le drame victorien, avec ses bouffons et ses héros, me parle plus que la tragédie française ou la pure farce italienne. Chez Camille Rebetez, le grotesque et la métaphysique se heurtent et parfois fusionnent. On y croise aussi bien des révoltes théologiques que des scènes pornographiques, des monstres de foire et des artistes-philosophes. Je me sens très proche de cette esthétique de l'impure. Pour moi, il y a là dedans plus qu'une simple révolte contre l'unité formelle de la période moderniste. Faire cohabiter le grotesque et l'élevé, c'est affirmer que les contraires peuvent vivre ensemble. Je suis convaincu que l'esthétique du métissage, du clash, du multiple a un fondement politique. Plutôt que de nous faire un discours sur l'acceptation de la différence, Rebetez nous la jette à la face, non seulement dans l'histoire qu'il nous raconte, mais aussi dans la façon qu'il a de l'agencer et (peut-être avant tout), dans son écriture à la fois charnelle et rare.


Nature morte avec un œuf est une œuvre de contrastes. Elle est faite de la boue des bordures d'autoroute comme des nuages d'un ciel de Michel-Ange. On y parle d'art et de théologie, mais aussi d'impuissance sexuelle et de remèdes de bonnes femmes. Le tout dans un univers très physique, très concret, mais impossible à situer franchement dans l'histoire ou sur une carte du monde. A la lecture d'une pièce si contrastée, me viennent des images multiples et distordues que j'ai envie de faire se rencontrer sur mon plateau. Je pressens un univers forain, tzigane, mais sur lequel planerait peut-être l'ombre d'une centrale nucléaire. La mise en scène d'un tel texte doit jouer sur les chocs, les basculements rapides, sans doute dans une esthétique proche de la bande dessinée, cet art dans lequel on saute d'une case à la suivante sans jamais être sûr de ce que cette dernière va nous révéler. Il s'agit bien sûr d'unifier le trait de crayon, mais j'ai envie d'une mise en scène éclatée et multiple qui brasse la boue d'un terrain vague et joue à s'en éclabousser.




MOT DE L’AUTEUR, par Camille Rebetez


L’auteur de théâtre est une éternelle femme de marin. Il se dépatouille durant des lustres sur des tricots récalcitrants qui ne lui conviennent jamais tout à fait. Il ne sait même pas si ce qu’il tisse sera susceptible un jour de couvrir ne serait-ce que le mollet d’un marin en manque de large. Mais l’auteur n’en a cure. Il œuvre, invente, fantasme, recommence et parfois trouve. Il se dit qu’une maille serrée de la sorte, qu’un ourlet si délicatement replié repousseront à coup sûr les grêlons les plus téméraires et parviendront même au besoin à refroidir El Niño. Et puis un matin, c’est la surprise ! Les trompettes annoncent le vernissage du nouveau chalutier. L’auteur accourt et – ô miracle ! – un pirate fait de l’œil à sa création textile. C’est décidé, les atours baroques de fraîche confection iront faire la nique aux embruns. La bouteille de champagne se brise sur la coque, le mousse rompt les amarres et l’auteur reste à quai, proscrit des aventures houleuses d’un équipage qui boirait la mer et les poissons. L’auteur pourtant lui aussi a soif de péripéties. Il voudrait se brûler les doigts sur les cordages, défier le tangage et le remous comme Vendredi. Il voudrait perdre la boussole et la retrouver au bout de plusieurs nuits assoupie derrière de l’étoile du berger. L’auteur fantasme, mais il reste à quai. Le grand voyage lui sera toujours refusé. Il est une femme de marin. Alors il retourne vers sa fidèle cheminée et attend bien sagement que le reflux veuille bien lui raconter comment le sel et les heurts auront métamorphosé ses tricots. Il pourrait être mort que le bateau voguerait encore. Eh bien diantre non ! Les temps ont changé et les femmes se font parfois matelotes pendant que leurs maris poireautent. Je suis un auteur vivant et je suis décidé à hanter le bateau jusqu’à ce que, pour survivre, l’équipage officiel me jette par-dessus bord. Je ne suis ni comédien, ni metteur en scène, mais de derrière, j’aime la scène. Et je cherche humblement les manières d’intégrer, dans les rôles qui m’échoient, l’inutile mais essentiel concentré de vie de la création théâtrale.


Premièrement, avec Nature morte avec Œuf, j’interroge la scène à travers mon écriture même. Ce qui m’intéresse avant tout, c’est d’inventer des histoires et de les construire à travers les codes de l’écriture dramatique affranchis des normes. J’aime préparer par les mots et par une dramaturgie soutenue un champ d’investigation pour les artisans de la scène. J’aime les formes vivantes et le mouvement vers une théâtralité prononcée. Je me fiche du réalisme et de la vraisemblance quotidienne. Je n’ai aucune image préconçue du spectacle lorsque j’écris, ce qui me fait économiser la question de la faisabilité. Mon écriture – ce qui se vérifie dans la lecture que fait Andrea Novicov de Nature morte avec Œuf – condamne presque le metteur en scène à inventer des solutions, peut-être à découvrir d’autres formes scéniques susceptibles de prolonger le mouvement du grossissement du trait, sans recourir à des procédés éculés. J’aime que mon écriture ne possède pas intrinsèquement sa propre solution. J’aime, sans que ce soit une fin en soi, qu’elle pose problème et qu’elle pousse à la création. Novicov semble aimer se jouer des codes scéniques. Je crois que je suis bien tombé.


Ce défi latéral que je lance, parfois inconsciemment, au metteur en scène, comporte son revers. Et c’est là à mon avis la seconde manière que j’entrevois pour prétendre à une place vivante sur ledit bateau. Andrea Novicov a l’impression de jouer aux échecs avec moi. « Tu bouges ta dame ? Que dis-tu de coup-ci avec mon pion ? » J’accepte le jeu. Ses observations m’emmêlent. Je perds l’embout de la pelote de laine. Mais, si je le retrouve, alors peut-être mon tricot va-t-il s’affiner ? C’est ainsi que l’écriture avance. C’est ainsi que je prends part à un processus de création avec l’équipe, que je goûte du bout des lèvres au jeu de la pratique théâtrale. Je crois en définitive que ma place sera très souvent parallèle et rejoindra une forme de matérialité à quelques reprises d’ici l’infini. Et ces quelques reprises rendront probablement le tricot de la femme de marin que je me refuse à être, sinon plus beau, du moins plus solide.


Camille Rebetez

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