Vers les mythologies
La rencontre avec Eric Massé autour de son projet de « Mythomanies urbaines » survient à un certain moment de mon travail où je m’intéresse particulièrement au mythe.
J’ai fait ma formation littéraire et théâtrale à un moment où justement le mythe avait été démystifié, croyait-on. Les Mythologies de Roland Barthes, l’entreprise du nouveau roman et du théâtre de l’absurde avaient semblait-il guéri l’humanité de son besoin de mythes et de fictions identificatoires…

Cependant, je viens de travailler sur une adaptation de Tristan et Isolde avec Mathieu Bauer de Sentimental Bourreau. L’opéra wagnérien plonge au coeur des mythes et donne le coup d’envoi de la culture mythologique qui va dominer le XXe siècle, de Freud à Lévi-Strauss, en passant par Thomas Mann ou Joyce. La façon dont Wagner utilise les mythes anciens va lancer la culture occidentale dans une véritable réinterrogation de son passé fabuleux. Qu’ils soient pour ou contre Wagner, les artistes devront se positionner. Aussi n’est-il pas sans étrangeté de se retrouver au début de ce siècle à en affronter à nouveau les spectres usés…

Les Mythes
Narcisse et Echo m’ont semblé être les outils les plus commodes pour explorer ces phénomènes. Narcisse non pas en tant que catégorie psychanalytique, voire en tant que coupable du péché d’orgueil, mais cet innocent Narcisse qui se trouve sidéré par l’autre qu’il découvre soudain dans un reflet sans savoir de prime abord que c’est lui-même… Cette expérience narcotique, de soi face à une effigie de soi, comme dit Mac Luhan semble être un des facteurs principaux de la modernité. Et la séduction du mythe de Narcisse semble trouver des singuliers échos dans la culture japonaise, pour laquelle le miroir n’est pas le lieu de la vanité mais celui d’un autre réel, voire la porte avec cet autre réel…
J’ai par ailleurs étudié les questions que posent les technologies de l’Intelligence Artificielle. Ces questions synthétisent le mythe technologique tout autant que le « mythe » même de l’humain, l’humain en tant que mythe… Ces « métamorphoses » dont la modernité semble avoir découvert le secret, d’Orlan à Mickael Jackson, passant par la chirurgie esthétique, le body art et les opérations trans-sexuelles…Chez Dédale, l’inventeur du labyrinthe mais aussi des ailes d’Icare et du sex toy géant (la vache de Pasiphaé, qui sera l’occasion de l’expérience génétique du Minotaure), est lui la figure idéale de cet inventeur faustien qui entreprend de remplacer la création.
La rencontre avec Eric Massé intervient à un moment où mon travail ne peut plus se passer de la mythologie. Mais cette rencontre recoupe une autre question qui m’occupe…

La Ville
La notion de ville, de l’entité urbaine et de ceux qui la peuplent, fait partie de mon corpus depuis l’aventure de L’Extraordinaire tranquillité des choses, menée avec Michel Simonot, Philippe Malone et Sylvain Levey à Saint Denis. En effet, ce texte écrit à quatre mains constituait une entreprise de portrait de la ville de Saint Denis.
Ce travail m’a lancé dans un autre projet d’écriture sur la ville, signé par XLO, à partir de déambulations dans différentes villes, Lyon, Paris, Berlin, Barcelone, Casablanca, Taipei, Kaohsiung, Pékin, Kyoto… A la rencontre de ce qu’il y a de commun à toutes les villes, et de ce qu’il y a de particulier à chacune… Nourri par Ulysse, de Joyce, oeuvre d’un véritable antimythographe, et fondateur du « topos » littéraire de la ville moderne, et par Sans Soleil de Chris Marker, sismographe des mythologies minuscules du monde moderne, j’ai accumulé les notes.
Ce travail que j’ai mené personnellement, un peu secrètement, sur les mythes, et ce travail sur les villes, rencontrent dans la proposition d’Eric Massé une possibilité de se réaliser. La mythologie grecque et latine étant en effet le lien qui unit la question des « métamorphoses » humaines et la question de la ville métamorphique…

Lancelot Hamelin