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My Secret garden

+ d'infos sur le texte de Falk Richter traduit par Anne Monfort
mise en scène Stanislas Nordey

: Entretien avec Stanislas Nordey

Vous poursuivez votre travail sur l’oeuvre de Falk Richter. Comment êtes-vous entré en contact avec ses écrits ?


Stanislas Nordey : C’est Jean-Louis Collinet, le directeur du Théâtre national de Bruxelles, qui m’a confié la première fois des textes de Falk Richter, dont Sept secondes. J’ai tout de suite compris que c’était exactement cette écriture-là dont j’avais envie, après avoir travaillé sur un texte de Fausto Paravidino, Gênes 01. Elle relevait autant d’une écriture non entièrement dramatique, proche du théâtre documentaire, faite de fragments, ancrés dans la vie, l’actualité et le politique, que des pièces de théâtre construites autour de personnages de fiction. Cette oscillation entre ces deux positions semblait se retrouver dans le projet Das System, qui allait au-delà d’une seule pièce. Pour aborder celui-ci, j’ai pensé qu’il fallait connaître l’intégralité de l’oeuvre. Je lui ai donc consacré une année entière de travail, en choisissant ensuite de mettre en scène Sept secondes, Nothing hurts et Das System, mais seulement après s’être frotté à l’ensemble des textes.


Est-ce parce que Falk Richter veut toujours se situer au coeur de l’actualité que son écriture vous intéresse particulièrement ?


C’est suffisamment rare pour qu’on s’y intéresse. Même si cela peut poser des problèmes. Quand nous avons créé Das System, George Bush était au pouvoir aux États-Unis : le texte était une critique violente de sa présidence. Quand nous l’avons repris en tournée, Obama l’avait remplacé. Il y avait donc tout un pan du spectacle qui n’avait plus lieu d’être. Nous avons du recomposer cette partie avec de nouveaux matériaux, venus d’autres textes de Falk Richter. Cela donne un côté très vivant au processus de création.


Falk Richter a-t-il vu votre travail à partir de ses textes ?


Oui. Il est venu à Avignon et c’est après cette rencontre que nous avons décidé de faire un bout de chemin ensemble. C’est la première fois qu’un autre metteur en scène s’emparait de ce projet un peu hors normes qu’était Das System. Il a été sensible à l’immersion que nous avions entreprise dans la totalité de son oeuvre et il a très clairement signifié que cela lui donnait envie de continuer. Comme je lui avais demandé de m’envoyer tous les documents qu’il pensait nous être utiles au moment de la préparation de Das System, il m’a fait parvenir des extraits de son journal personnel qu’il appelle aussi son autofiction. Ces documents me semblaient vraiment constituer un corpus de textes utilisables pour une présentation sur scène. Je lui ai donc proposé de m’emparer de sa figure d’auteur pour en faire un spectacle, un peu à la manière de Jean Jourdheuil, qui a travaillé sur Heiner Müller pour faire un portrait théâtral de l’écrivain mais aussi, à travers lui, un portrait de l’Allemagne.


Falk Richter a-t-il facilement accepté de s’exposer ainsi ?


Oui. Il est vrai que son journal mélange le récit d’événements très privés, expériences sentimentales comprises, avec des réflexions très politiques et un regard incisif sur le monde du théâtre. Je me suis pleinement retrouvé dans cette démarche, ainsi que dans cette figure d’artiste, déchiré entre l’épuisement d’une vie de théâtre, la difficulté de mener ensemble vie privée et vie professionnelle et un désir d’investissement politique dans et hors l’oeuvre artistique. Nous avons donc beaucoup discuté, d’autant qu’à ce moment-là, Falk préparait le spectacle Trust avec la chorégraphe Anouk van Dijk et que le fait de partager la mise en scène avec un autre artiste lui paraissait une réponse possible aux questions qu’il se posait. Il m’a alors proposé de construire un projet à deux. Lui comme auteur et metteur en scène, moi comme acteur et metteur en scène. Et cela de bout en bout, en participant chacun à toute les étapes, de l’écriture aux représentations, en passant par le choix commun des acteurs et des formes de production. Cela provoque sans doute un peu de confusion mais c’est une « belle » confusion, un certain trouble mais un « beau » trouble, et surtout, cela nous oblige à de l’invention. Et de l’invention intelligente.


Au coeur de My Secret Garden, il y a donc Falk Richter lui-même ?


Au début, il devait être la seule figure du spectacle, mais aujourd’hui, nous avons évolué et il y a aura trois personnages. Une fratrie allemande, deux frères et une soeur qui, au moment de la mort de leurs parents, se mettent à revisiter l’espace dans lequel ils ont grandi. Ils sont tous trois devenus écrivains et se trouvent dans des situations de blocage, de difficulté dans l’acte d’écriture. Le personnage que je vais interpréter – qui est le plus proche de la figure de Falk Richter – metteur en scène et auteur de théâtre écrit son premier roman. Celui qui sera interprété par Laurent Sauvage est un écrivain sociologue, qui s’intéresse au domaine politique tout en étant addict au porno sur Internet. Enfin, Anne Tismer sera un écrivain qui travaille beaucoup à partir des nouveaux moyens de communication, comme les blogs. Il y a aussi un arrière-plan à cette fable sur l’écriture, car ces deux frères et cette soeur avaient fondé, il y a dix ans, un groupe de musique électronique qu’ils ont envie de faire revivre. La pièce racontera donc l’histoire d’une famille allemande, au travers de laquelle il sera aussi question de tous les intellectuels allemands qui ont trouvé refuge en France, quelle que soit la période historique : Georg Büchner, Friedrich Schiller, Rainer W. Fassbinder, etc. Donc une réflexion sur le droit d’asile en France, hier et aujourd’hui. Tous ces points sont, au moment de cet entretien, nos pistes ; elles peuvent évoluer au gré du travail, des répétitions.


Avez-vous déjà imaginé un espace de représentation ?


Il faut un espace très ouvert où l’on puisse installer un groupe de musique électronique et qui soit encombré par des piles de papier, les épreuves du journal intime de l’auteur. Pour l’instant, nous ne savons pas encore exactement comment s’organisera cet espace.


Pourquoi Falk Richter est-il pour vous un écrivain important ?


Parce qu’il a un rapport à l’espace géographique qui lui permet de sortir de l’Allemagne ; parce qu’il est un peu le seul à travailler comme il le fait et que cette singularité traverse son oeuvre. Il y a dans ses écrits une mise en jeu du « je » qui lui est très personnelle.


Mais Sarah Kane ou Marius von Mayenburg, pour ne prendre que ces deux exemples, travaillent aussi sur le monde qui les entoure et d’une façon très personnelle ?


La singularité de Falk Richter est de mêler l’intime et le politique en abolissant la distance que les auteurs dont vous parlez ont établie. Dans ses pièces, il met en scène la façon dont il est lui-même touché par le monde. Dans les écritures que vous évoquez, tout en racontant le choc qu’il ressent, l’auteur se tient hors de son récit. Je rapprocherais plutôt le travail de Richter de celui de Lars Norén et de son journal, qui vient d’être publié. Ils partagent tous deux cette volonté de s’exposer en place publique, avec la possibilité de l’erreur, la possibilité d’être désavoué. Leur oeuvre est inscrite dans le temps présent.


Selon vous, avec ce nouveau texte, Falk Richter va-t-il encore plus loin en ce sens ?


La part d’intime présente dans ces textes est certainement de plus en plus grande. C’est pourquoi, il est heureux que quelqu’un comme moi s’intéresse à son travail et ait envie de s’en emparer. Ce n’est pas par hasard s’il a appelé Stanislas Nordey un de ses personnages alors qu’il parle de lui en se cachant derrière mon identité. C’est un peu un jeu de poupées gigognes. Je pense que Falk va mettre des parties de lui-même dans les trois personnages, qui sont un peu comme les trois auteurs qu’il porte en lui, mais qu’il va un peu brouiller les pistes, même si le coeur du texte viendra de son journal intime. J’espère qu’il parlera aussi de ses parents dont il m’a raconté des choses passionnantes et qu’il travaillera sur les clichés concernant l’Allemagne et la France, car il sait très bien les utiliser avec humour.


Dans les textes de Falk Richter, la scénographie est écrite et utilise souvent des moyens que vous refusez d’employer, comme la vidéo. Qu’en est-il pour le travail que vous avez entamé ? Avez-vous la sensation que son écriture scénique a évolué ?


Il serait prétentieux de ma part de dire qu’il a évolué à mon contact. Mais je crois que voir un autre metteur en scène travailler sur ses pièces l’a obligatoirement fait réfléchir. Pour ce qui me concerne, notre rapport n’est pas très éloigné de celui que j’entretiens avec Wajdi Mouawad. Si je travaille à des endroits différents avec des auteurs et des metteurs en scène, s’il y a un travail en commun, forcément il y a un mouvement qui s’accomplit, pour eux et pour moi. Il y a un véritable échange. Aujourd’hui, c’est cette complicité que je recherche : elle permet des relations de travail très fortes qui font bouger les lignes. J’ai d’abord pratiqué cette complicité avec des chefs d’orchestre, lorsque j’ai fait des mises en scène d’opéra, puisqu’on est toujours deux pour présenter une oeuvre dans ce cadre-là. Après vingt-cinq ans de théâtre en solitaire, j’ai vraiment envie d’autre chose et ces collaborations étroites répondent à cette envie. Je voudrais trouver un équilibre entre mon travail personnel, comme celui que je viens de réaliser avec Les Justes de Camus, et ce travail partagé. J’ai moi aussi besoin de brouiller les pistes de diverses manières pour chercher et inventer. Étant donné qu’il y a des artistes qui me proposent un parcours commun, Christophe Fiat par exemple, je pense que je vais continuer dans ce sens.


Comment travaillez-vous concrètement avec Falk Richter ?


Falk Richter écrit un texte et nous allons faire une première session de travail avec des improvisations des comédiens, Anne Tismer, Laurent Sauvage et moi-même. À la suite de ces répétitions, Richter reprendra son texte pour en fournir une nouvelle version tenant compte du travail collectif. Pour la mise en scène, je ne sais pas encore comment notre collaboration fonctionnera puisque c’est la première fois que je fais cette expérience de partage. Pour l’instant, il y a un vrai échange entre nous : nous parlons très librement de tout, nous avançons nos arguments. Dernièrement, il m’a fait part de son désir d’avoir un vidéaste pour travailler avec nous, alors que je ne suis pas sûr que ce soit nécessaire. Donc nous échangeons des emails pour préciser chacun notre vision des choses et nous avançons. Nos différences ne sont pas des freins mais, au contraire, des aiguillons pour modifier nos façons de faire. Pour l’instant, nous voudrions supprimer le nom de metteur en scène dans le générique du spectacle pour être au plus près de la façon dont nous travaillons et qui ressemblera sans doute plus à une installation ou à une performance. Même si nous allons avoir un vrai texte de théâtre à faire entendre.


Les discussions portent plus, entre vous, sur l’esthétique du spectacle ?


Oui et non, car l’esthétique va beaucoup dépendre du texte. Falk Richter a vraiment envie d’écrire en se situant plus du côté de Trust et de Das System que du côté des pièces plus traditionnelles. Comme je participe à l’écriture, en proposant à partir des fragments qu’il m’envoie, des développements dans certaines directions, il y a aussi un échange sur la dramaturgie. Je crois que c’est une démarche originale et que le travail de mise en scène sera très différent de ce que j’ai fait avant, puisque beaucoup de problèmes seront résolus avant même les répétitions, grâce à notre collaboration permanente.


Avez-vous le sentiment que de nombreux artistes aujourd’hui ont envie, comme vous, d’une collaboration plus étroite avec d’autres artistes pour écrire et réaliser ensemble un projet ?


Oui et je crois que le Festival d’Avignon en proposera plusieurs exemples cette année. Certains sont très anciens, comme Anna Viebrock et Christoph Marthaler ; d’autres un peu plus récents, comme le trio Cadiot, Lagarde, Poitrenaux. Il y a un vrai désir de sortir d’une espèce de solitude de la part des artistes qui ont besoin de respirer un air nouveau. Il y a une tendance plus large puisque les collectifs d’acteurs se multiplient, que beaucoup d’artistes ont envie de prendre à plusieurs la direction des lieux qu’on leur propose. Je sens très fort ce désir de partage artistique. Ce n’est pas un hasard si Falk Richter nous a demandé de lire l’ouvrage d’Alain Ehrenberg, La Fatigue d’être soi, et de voir le film Deconstructing Harry (Harry dans tous ses états) de Woody Allen. Je suis persuadé qu’il y a un déplacement nécessaire à faire pour les metteurs en scène, notamment par rapport à la période où on leur reconnaissait une toute puissance absolue.


Propos recueillis par Jean-François Perrier

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