Entretien avec Bertrand Bossard

Quelle est cette île dont tu parles ?

C’est une île de l’Adriatique, en été, elle est magnifique ; et avant l’arrivée des réfugiés, c’était un lieu de vacances. En y posant le pied pour la première fois, je me suis même dit « c’est cool comme camp de réfugiés », j’ai eu cette idée-là … Une aberration. Je m’en suis aussitôt senti coupable. Comme s’il pouvait y avoir de belles prisons.

Je n’ai jamais raconté mon expérience à Obujan. Je veux faire partager cette aventure sur le mode de la comédie pour que le public ne se sente pas mal à l’aise. L’expérience du spectateur sera d’autant plus forte qu’il aura partagé cette histoire en riant.

Comment peux-tu parler des camps de réfugiés en faisant rire ?

Cela ne me gêne pas tellement, puisque j’y étais… Et puis la question que je me pose c’est ‘Qu’est-ce que tu as compris du conflit bosniaque ?’, plutôt que ‘saurais-tu expliquer le conflit bosniaque ?’. Mon expérience est personnelle et partielle. Bien sûr, j’ai rencontré des Bosniaques, ils m’ont donné une vision de ce conflit, mais eux-mêmes qu’en avaient-ils compris ?

En tout cas, j’en ai ma propre vision. C’est pour ça que je préfère dire Mon île déserte. Je suis certainement passé à côté de beaucoup de choses, mais j’en ai ressenties beaucoup aussi…. Je ne me pose pas en tant qu’analyste politique. Je reste ancré dans le quotidien du camp… Je fais partager une expérience, c’est tout. Je donne des petites leçons : ce que le bon sens fait ressentir à tout le monde à propos de ce conflit est déstabilisé. Et puis le rire faisait partie de notre quotidien à Obujan, avec son énergie.

Il vaut mieux en rire qu’en pleurer….

Non, mieux vaut en rire quand on en pleure… C’est important le deuil… Il faut pleurer et après rire. Mon île déserte ne va pas être qu’une comédie comme Incredibly Incroyable. Même si dans le précédent spectacle, il y avait quelque grincement de dents. Ce que je veux, c’est amener les gens à rire de situations, mais que tout à coup, on se rende compte que c’est très grave…. Et puis aussitôt reconstruire le rire derrière… On en arrive en effet à une narration possible des choses horribles de la vie. C’est cette vision britannique qui fait que même dans les pires situations, on peut s’en sortir en riant. La base de l’humour, c’est ça, c’est rire … Même désespéré...