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Mon Père, ma guerre


: Ecriture

En cherchant la collaboration d’un auteur, pour coucher sur papier ces questionnements et les confronter, les enrichir avec une écriture singulière, une sincérité et le souffle d’un vécu, nous sommes tombés sur les traces de l’univers poétique et engagé de Ricardo Montserrat, qui, dès les premiers instants nous a fait part de tout son intérêt et de son enthousiasme pour le projet.


Ricardo Montserrat :
Quand Martial Anton et l'andalou Daniel Calvo Funes me demandent d'écrire pour Tro-Héol, je viens juste d'écrire "ça", à partir du témoignage d'une vieille Andalouse, pour Siempre, spectacle de rue sur l'exil :



A la fin de la guerre, ils font défiler les femmes, la main droite levée, les cheveux rasés, ne leur laissant qu’une mèche peinte en rouge. Ils les obligent à passer devant la prison, pour que leurs maris emprisonnés voient "comme elles sont belles". Je revois ces femmes, leur petit bouquet rouge sur la tête. J’ai dix ans. Je cherche ma mère, visage après visage. Ta maman n’est pas là, va-t-en vite, cours ! Elle n’y est pas. Ma tante l’a cachée. La nuit, ils cognent à la porte. Ils crient des choses sales. Moi, je suis timide, je n’ose pas répondre. Mon grand-père est mis en prison parce que mon père n’est pas là. Je lui apporte à manger par une fenêtre. Il y a du sang jusqu’à mi-hauteur du mur. On dirait un abattoir, tellement ils saignent du nez et des oreilles. Une voisine est avec moi. Elle regarde à son tour par la fenêtre, elle ne voit pas son père. Je l’aide à grimper par-dessus le mur. Son père est attaché à une chaise, ils sont en train de le battre. Ils sont quatre. Ils ne s’arrêtent que lorsqu’il s’évanouit. Ses camarades lui ôtent sa chemise pour le laver. La peau reste collée au tissu. Puis au mari de la cousine à ma mère, ils lui cassent les jambes. Les femmes se rassemblent autour de la prison pour réclamer que cesse le massacre. Mais le massacre continue. Quand on libère Grand-père, seul un gitan sort avec lui. Tous les autres ont été battus à mort.


Je sais avant même que Daniel me le dise ce qu'il veut que j'écrive. Je prends peur, moi qui porte le nom d'un jeune mort. Je lui écris l'histoire d'un petit garçon qui apprend à effacer les mauvais souvenirs. Daniel ne veut pas effacer. Il revient à la charge. Il me raconte des lambeaux de son histoire perdue. Les souvenirs qu'on n'a pas laissent des trous dans l'âme.
La sienne est pleine de courants d'air. Mais il reste assez de chair à vif pour écrire.
Alors j'écris son histoire. Celle d'une petite fille. Toutes les histoires sont des petites filles que dévorent les loups. Mais cette petite-là ne se laisse pas faire, elle est née d'une grande Histoire... d'amour. Quand il ne reste plus rien, il reste l'amour. La haine est la défaite de l'imagination, écrivait G. Greene. L'amour est sa victoire. Tro-héol est une victoire de l'amour. Rien de ce qui est arrivé n'est irrémédiable.

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