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Mon Képi blanc

mise en scène Hubert Colas

: Entretien avec Hubert Colas

Vous présentez deux spectacles au Festival, un dont vous êtes l’auteur et le metteur en scène Le Livre d’or de Jan, l’autre dont vous êtes seulement metteur en scène Mon Képi blanc. Ces deux spectacles sont-ils liés ?


Oui puisque les préoccupations que je peux avoir par rapport au théâtre se retrouvent dans les deux spectacles. Mais c’est un hasard qu’ils soient présentés cette année au Festival l’un à la suite de l’autre. En ce qui concerne Mon Képi blanc, c’est un épisode d’une longue collaboration avec son auteur, Sonia Chiambretto, qui dure depuis cinq ans. Ce qui m’a intéressé dans cette collaboration c’est que l’écriture de cette auteure n’est pas évidemment dramatique, c’est avant tout du récit poétique. Elle peut aussi être considérée comme de la poésie ce qui explique qu’elle ait eu du mal à trouver sa place sur les plateaux de théâtre. Je considère qu’elle a tout à fait sa place sur une scène de par la puissance de son oralité. Je me suis donc attelé à la faire entendre, en cherchant toujours à représenter la musicalité de l’écriture, en essayant de rendre la partition écrite avec des mots.


Le texte était-il écrit pour être dit ?


À l’origine non, mais Sonia Chiambretto a modifié certaines parties du texte après avoir assisté aux répétitions. Mais maintenant nous jouons l’intégralité de ce qui est écrit… même les petits dessins qui ornent le texte ou les différentes calligraphies du texte !


Cette pièce est une des parties d’une trilogie, écrite à partir d’interviews ?


Sonia Chiambretto compose ses oeuvres à partir d’interviews considérées comme de la matière textuelle qu’elle travaille, dissèque, malaxe. Pour Mon Képi blanc, elle a interrogé des légionnaires qui vivaient dans une caserne près de chez elle. Elle en a tiré un portrait unique qui rejoint celui qu’elle a déjà dressé dans Chto, Interdit aux moins de 15 ans, celui d’une jeune tchétchène arrivée à Marseille après avoir renoncé à son pays où elle a été victime d’une multitude d’atrocités, et celui que nous allons créer à l’automne prochain autour de religieuses slovaques, 12 soeurs slovaques. Dans les trois cas il s’agit d’une perte volontaire d’identité. Ces trois projets m’intéressent parce qu’ils tournent autour d’une problématique de « l’être » et du comment se façonne l’individu. Dans Mon Képi blanc, on a un personnage multiple avec une identité propre, qu’il perd en entrant dans la Légion étrangère, qui permet une puissance d’incarnation très forte. À l’inverse, dans Le Livre d’or de Jan, il y a une absence de la personne dont l’identité va être révélée par les individus convoqués pour parler d’elle.


La pièce se construit-elle autour de ce questionnement sur un être disparu ?


Oui je crois qu’on peut penser à une sorte d’enquête menée par tous les protagonistes sur cet individu pour en donner un portrait à images multiples qui montre les identités possibles de cet homme du XXe siècle. Parler de l’absence ou de l’attente de quelqu’un pour le faire exister aux yeux des spectateurs, ou des lecteurs, n’est pas un processus nouveau puisque Beckett et tant d’autres, dans le genre romanesque en particulier, l’ont déjà utilisé. Ce questionnement m’atteint sans doute aujourd’hui parce que j’ai déjà vécu suffisamment pour me poser des questions autour d’une future disparition qui forcément se rapproche. Question première qui se double de celle sur le renouveau possible, à ce moment de ma vie.


Cet individu recherché est-il un artiste ?


À l’origine du projet ce devait être un artiste. Aujourd’hui, je me demande si la notion de la création de son existence, de quelque nature qu’elle soit, n’est pas un acte artistique en lui-même. Ce que nous créons nous-mêmes n’a-t-il pas valeur d’art dans une époque où certains artistes, comme dans les années cinquante avec le peintre Yves Klein, s’impliquent physiquement dans leur création artistique à tel point qu’on peut affirmer que leur corps est aussi oeuvre artistique ? Avec les acteurs je me pose les mêmes questions. Je leur propose de se questionner aussi en leur demandant : « Qui est Jan pour vous ? ». Je veux laisser ouvertes toutes les possibilités envisageables de Jan pour qu’il garde une grande liberté. S’il reste un artiste, on ne devra pas le savoir avant les quarante-cinq premières minutes de la représentation.


Jan est mort ou simplement a-t-il disparu aux yeux du monde ?


Je ne sais pas. Chacun pourra se déterminer par rapport à cette question. S’il est vraiment mort il s’agit de faire son deuil. S’il a simplement disparu dans un certain anonymat, le deuil est beaucoup plus difficile à faire. Quand je vois les improvisations des acteurs je me rends compte que tout est possible puisque certains, à travers ce qu’ils proposent, parlent aussi de leur propre disparition.


Vous avez donc, dans un premier temps de travail, abandonné le texte que vous avez écrit ?


Oui, puisque nous travaillons à partir d’improvisations, ce qui est nouveau pour moi, qui en général travaille toujours sur un texte préétabli. C’est une remise en question dont j’ai éprouvé le besoin, depuis ma création de Hamlet, pour mieux associer les acteurs au processus de travail. Ils vont donc être face à la page blanche comme je le suis moi-même quand je commence à écrire. Je crois que le héros n’étant pas présent dans l’oeuvre, il faut qu’il appartienne un peu aux acteurs, qu’il soit dans leur imaginaire, même si cela doit détourner mon propre projet d’origine.


Vous allez réécrire à partir de ces improvisations ?


Certainement pour quelques moments particulièrement riches. Comme nous filmons toutes les répétitions, il est aisé de retrouver ce que je veux garder et intégrer à mon projet. C’est la première fois que je travaille comme ça, en comptant en partie sur la mémoire de ce que j’ai vu en improvisation.


Le Jan des acteurs correspond-il toujours à votre Jan initial ?


Pas toujours car parfois les acteurs n’ont pas une idée très claire de ce personnage et ont tendance à partir de leur propre vécu pour décrire ou imaginer ce Jan. Certains vont chercher vraiment très profondément en eux pour cette enquête et ils peuvent avoir la sensation d’un vol ou d’un rapt de leur intimité. C’est un exercice délicat. Je constate cependant que le processus n’est guère différent de celui des répétitions d’une pièce écrite puisque, dans ce cas-là, aussi les acteurs vont chercher en eux de quoi nourrir leur personnage. La seule différence c’est qu’ils sont peut-être plus rassurés s’ils ont des mots déjà écrits pour ouvrir leur imaginaire. Je considère les acteurs d’abord comme des artistes, des créateurs avant d’être des interprètes. Il faut également dire qu’il n’y a pas que les acteurs qui vont s’emparer de Jan mais aussi les spectateurs qui vont, au cours de la représentation, se faire une image de cet individu. Je voudrais que le portrait de Jan soit vraiment multiforme et donc indéfini.


C’est donc l’auteur Hubert Colas qui change de méthode plus que le metteur en scène Hubert Colas ?


L’auteur s’est effacé temporairement au profit du metteur en scène. C’est le metteur en scène qui est contraint par le travail avec les acteurs, avec l’espace, avec la production, qui oublie l’auteur, qui, lui, a toute liberté pour écrire sans contraintes. Si je veux être honnête, il y a une part de mensonge puisque je suis à la fois auteur et metteur en scène et que je vais revenir à une oeuvre écrite par moi. Mais c’est vrai, j’aborde ce travail d’une façon très nouvelle pour moi.


Comment présenteriez-vous « votre » Jan ?


ll sera aussi le reflet de ma propre intimité, de mon propre vécu. Il s’est passé une chose étrange puisque j’ai découvert un livre sur un plasticien hollandais des années 70, Bas Jan Ader, qui a disparu un jour, sans que l’on sache exactement pourquoi ni comment. Un film a été tourné, qui regroupe tous ceux qui l’ont approché, famille, amis, d’autres artistes qui ne l’ont pas obligatoirement connu et qui, tous, parlent de cette problématique de la disparition. Je travaille sur ce projet depuis deux ans et je me suis aperçu qu’il y a de plus en plus de photographes et de publicistes qui travaillent sur des corps dans le vide, de même que Bas Jan Ader a réalisé une grande part de son travail sur le moment du saut, le moment où l’on va disparaître dans le vide. Ce concours de circonstances ne pouvait me laisser indifférent et je me suis demandé si ce n’est pas ce moment qui est l’acte même de la création.


Faut-il absolument bien se connaître pour pouvoir connaître l’autre ?


Ce n’est malheureusement pas aussi simple que ça, sinon ce serait relativement facile et magnifique. Je crois qu’il faut être prêt à se découvrir totalement chez l’autre pour pouvoir établir un vrai rapport avec lui. Il faut accepter le retour du regard de l’autre sur ce que nous sommes pour le rencontrer vraiment, sinon quelque chose ne se fait pas dans l’échange. Il faut qu’il y ait un niveau de conscience intuitive, même s’il n’est pas toujours nommé, dans lequel le corps doit se trouver pour établir une relation avec les autres ou avec le monde.


Est-il plus facile de parler d’un être absent que d’un être présent ?


Je ne sais pas s’il y a plus de liberté ou de facilité. Quand quelqu’un n’est plus là, on sent différemment sa présence passée, on le perçoit forcément autrement. Quand je relis Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes, je constate qu’il y a aujourd’hui une réécoute du choix amoureux puisque nous sommes après les années Sida, même si le Sida fait encore des ravages. On est dans une époque où l’on peut accepter de parler d’amour sans craindre le ridicule.


Le fait de mettre en scène d’autres auteurs, et dans une grande diversité quant aux choix, a-t-il modifié votre écriture personnelle ?


Witold Gombrowicz, Sarah Kane, William Shakespeare, Christine Angot et Sonia Chiambretto n’écrivent pas vraiment de la même façon mais ce qui m’intéresse ce sont surtout leur personnalité d’écrivain qui transparaît à travers des oeuvres très diverses. J’entre dans ces univers d’auteur de la même façon que je pourrais entrer dans une maison en me disant que j’y suis bien, même si le style de cette maison est différent de celui d’une autre maison. Une seule fois j’ai senti qu’une parole que je voulais mettre en scène était un faux, très insincère… Ce fut très désagréable car je me suis rendu compte que je n’avais pas à m’occuper de cette écriture. Quant à savoir ce que ces textes divers ont modifié dans mon travail, je pense que c’est le metteur en scène qui a été le plus « modifié » par ces contacts. Avec Gombrowicz, par exemple, c’est le simulacre qui m’a interrogé car je ne savais pas comment faire avec cet univers qui tient autant du clown que d’une certaine forme de grotesque. Mais une fois que j’ai ouvert la porte de cet univers, ce fut un grand bonheur car la confiance est venue très vite. Avec Sarah Kane, ce fut aussi un choc qui m’a forcément fait beaucoup bougé. Comme auteur, ce sont toutes mes rencontres qui ont transformé ma façon d’écrire, rencontres avec les auteurs que j’ai mis en scène, avec les auteurs que je croise sans cesse à Montévidéo, le lieu que je dirige à Marseille ou au festival actOral que j’ai initié.


Vous utilisez de la vidéo dans Mon Képi blanc comme dans toutes vos autres mises en scène (sauf Mariage de Gombrowicz). Y en aura-t-il dans Le Livre d’Or de Jan ?


Oui, car la vidéo dans mes mises en scène a le même statut que l’écriture. Elle sert en général à montrer l’écriture dans l’espace. Dans Mon Képi blanc elle sert à révéler un portrait pyrogravé du légionnaire qui est joué par l’acteur seul sur le plateau. Dans Le Livre d’or de Jan, elle recréera des espaces ou des lieux de la mémoire de Jan, des endroits où il a vécu par exemple. Elle révélera les espaces intérieurs où nous faisons renaître Jan. Il y aura aussi une interactivité entre la vidéo et le jeu des acteurs présents sur le plateau, puisque le vidéaste Patrick Laffont assiste aux répétitions pour faire parler aussi son imaginaire par rapport à ce Jan disparu.


Propos recueillis par Jean-François Perrier

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