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Moi je crois pas !

mise en scène Charles Tordjman

: Entretien avec Charles Tordjman

Propos recueillis par Pierre Notte

Votre rencontre avec l’oeuvre de Jean- Claude Grumberg est pour le moins tardive, pourquoi ?


Nous avons eu un entremetteur tardif : l’écrivain Paul Tabet, ancien directeur de Beaumarchais, m’a donné à lire le texte Vers toi Terre promise. Paradoxalement, à la première lecture, Vers toi Terre promise ne m’a pas vraiment touché. Le thème était trop proche peut-être de mes préoccupations familiales, de mes propres questionnements identitaires. C’est quand je me suis rendu en Israël, alors que je devais assister à la pose d’une pierre tombale pour une très jeune nièce, que j’ai repensé au texte. Et il m’a bouleversé. J’ai compris que le thème principal m’avait échappé : le deuil, la douleur intime, la perte de l’enfant. Je l’ai relu allez savoir pourquoi, j’ai pleuré. Paul Tabet nous a ensuite réunis lors d’un dîner, pendant lequel un convive bavard monopolisait la parole. Nous avons ressenti Jean- Claude Grumberg et moi, une souriante antipathie à son égard. Est née alors une grande complicité ! Avec son humour, son décalage, son regard rieur, caustique, son amour de la vie, j’ai reconnu en lui comme un frère. Nous avons en commun cette idée que tout, finalement, n’a pas tant d’importance, puisqu’il faudra finir. Et que même finir, au bout du compte, ce n’est pas si terrible.


Travaillez-vous avec lui une adaptation du texte Moi je crois pas ! ?


Grumberg est disponible, c’est un auteur qui entend les remarques, qui les accepte. Je peux lui proposer des coupes, des aménagements. Nous en parlons beaucoup. Mais au bout du compte, il n’y aura quasiment aucun changement ! Pour la fin de Vers toi Terre promise, il avait accepté l’idée que la fin soit modifiée. Il en était très content. Cela dit, il n’est pas du tout intervenu, il n’y tenait pas. Grumberg est très confiant et généreux. Je travaille en ce moment à la recréation de Vers toi Terre promise à New York. C’est passionnant ! Je voudrais monter aussi Dreyfus, une oeuvre formidable. Aujourd’hui, il me laisse avancer en toute confiance. J’opère quelques coupes. Il me laisse faire… D’autres aventures sont je l’espère à venir...


La pièce a-t-elle été écrite pour Pierre Arditi ?


Jean-Claude et Pierre racontent volontiers qu’un jour, Arditi a trouvé dans sa boîte à lettres le manuscrit de Moi je crois pas ! dans lequel le personnage de l’homme se vautre devant une télévision, et regarde des documentaires animaliers dont la voix est assurée par Arditi lui-même ! Pierre a appelé Grumberg, « Comment ? Lui en commentateur animalier ? », Grumberg lui a répondu que la seule solution pour ne pas se limiter au commentaire c’était qu’il joue la pièce. Pierre Arditi a répondu qu’il n’était pas question que quelqu’un d’autre le joue ! Pierre lui-même a ensuite souhaité que Catherine Hiegel joue la femme. C’est une admirable idée. Et je compte bien, dans ma mise en scène, faire entendre les documentaires animaliers commentés aussi par Arditi… Moi je crois pas ! est à l’opposé de Vers toi Terre promise. Grumberg ouvre une autre fenêtre de son talent. La pièce expose un couple qui se trouve en proie à un vide sidéral. La parole est là pour couvrir le vide. L’homme déclenche des conversations en lâchant « Moi je crois pas », c’est une réplique négative, à laquelle la femme répond par l’opposition. Le procédé est simple. Ils s’affrontent pour oublier le vide, et parlent pour ne pas avoir à se dire qu’ils s’aiment. Ce n’est pas un petit couple français xénophobe dans une scène de ménage, mais un homme et une femme, sans âge, qui comblent le vide, effleurent l’émotion, la tendresse. Ils regardent devant eux, c’est tout. C’est un couple universel. J’espère que Pierre Arditi acceptera de se gommer lui-même, je voudrais qu’il disparaisse ! Que l’icône n’apparaisse plus que par les commentaires des documentaires animaliers qu’on entendra. Il faut qu’on ait à faire à des gens simples, des gens comme nous ! Des gens avalés par la télévision, comme nous. Des gens qui ont du mal à se regarder en face, à se dire qu’ils s’aiment, à éteindre la télévision, et à s’étreindre. La pièce est comme une fugue de Bach, les mélodies courent les unes derrières les autres. Et deux instruments tentent de s’accorder. « On était jolis avant » dit le couple de Fin de partie chez Beckett. Je voudrais travailler à retrouver la mémoire de ce moment où ils étaient « jolis ». Tout ce qui se dit tourne jusqu’au vertige, jusqu’à la répétition vaine des conversations initiales. Cela n’a pas de sens, mais ça comble le temps, un temps absurde qui recouvre des accords, de la tendresse, de l’amour.


Dans quel espace évolueront Catherine Hiegel et Pierre Arditi ?


Je ne veux pas mettre en scène l’exhibition de deux monstres de scène. Je veux traquer l’émotion. J’aime infiniment ces deux immenses acteurs. Je veux qu’on les voie, et qu’on les voie parfaitement, dans des lumières fortes. Nous allons les surexposer. La scénographie sera claire, épurée. Sans accessoire ni meuble. Ils seront là comme deux anges, après la mort, qui tenteraient de se rappeler ce qu’ils ont pu se dire de leur vivant, toutes ces choses qui n’allaient pas, pour se donner une deuxième chance. Dans l’espace, on retrouvera des volumes de Vers toi Terre promise, comme un rappel à l’oeuvre de Grumberg. Et là, une télévision, comme un troisième personnage, lâchera ombres, lumières et couleurs qui ouvriront je l’espère au fantastique et à l’onirisme. Il n’y aura aucune époque signifiée. L’espace n’aura rien d’anecdotique, de quotidien. Je veux trouver la vérité de ce couple émouvant et drôle. Nous n’aurons pas à faire à deux français moyens, usés, qui s’engueulent. Mais à deux forces contraires et tendres, toniques, deux créatures parfois déchirées, aspirées par ce troisième personnage qu’est leur télévision.

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