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Moi, Daniel Blake

+ d'infos sur l'adaptation de Joël Dragutin ,
mise en scène Joël Dragutin

: Présentation

Genèse


En découvrant Moi Daniel Blake, j’ai été particulièrement touché par la trajectoire de ce personnage. Il y avait dans ce destin tragique et dans les intentions des auteurs, Paul Laverty le scénariste et Ken Loach le réalisateur, quelque chose qui paraissait manquer depuis quelques années à la création théâtrale contemporaine française : une véritable implication politico-sociale en résonance avec l’actualité, une mise en perspective des bouleversements économiques et sociaux à l’œuvre dans l’ensemble du monde occidental libéral.


Le projet d’une adaptation théâtrale du film s’est fait jour progressivement et j’ai pu envisager clairement ce que le théâtre comme art du vivant pouvait apporter de neuf à cette histoire vécue portée à l’écran avec le brio de Ken Loach. Il s’agit, comme toujours au théâtre, d’inscrire le spectateur dans une expérience partagée et collective qui fonde une prise de conscience qui n’est pas de même nature que celle que l’on vit au cinéma. Le théâtre par essence demeure à mes yeux un espace peut-être plus « politique » que le cinéma.


Synopsis


L’histoire imaginée par Paul Laverty, le scénariste de Ken Loach, débute comme un fait divers somme toute banal, une histoire comme il y en existe des milliers à travers le Royaume-Uni, une histoire de santé et de travail qui va progressivement se muer en tragédie. Menuisier dans une petite entreprise de Newcastle fabriquant des meubles de cuisine, Daniel Blake, âgé de 59 ans, doit cesser de travailler en raison de problèmes cardiaques dûment avérés par ses médecins.


Il sollicite donc les aides sociales légales. Mais l’organisme gérant ces aides rejette sa demande et le déclare apte au travail contre l’avis de son médecin personnel. Il fait appel de cette décision, mais, à présent sans indemnités, il est contraint de s’inscrire au chômage. S’ensuit une longue descente aux enfers au cours de laquelle Daniel, malade, doit rechercher activement un emploi, remplir d’innombrables et impossibles formulaires en ligne, passer des heures à appeler des centres d’appels automatisés, suivre des stages de formation inadaptés et se heurter aux constantes humiliations de la part d’un personnel technocratisé chargé de faire baisser les statistiques.


Au cours de ce parcours aussi kafkaïen qu’ubuesque, Daniel fait la rencontre de Katie Morgan, une jeune mère célibataire qui a dû accepter un logement social à plusieurs centaines de kilomètres de sa ville natale pour éviter le placement de ses deux enfants en foyer. L’employé devant qui elle se présente avec quelques minutes de retard (elle ne connaît pas encore la ville, ni son réseau de transports) décide de la priver de ses droits pendant tout un mois. Dave et Katie vont s’entraider et tenter de résister ensemble à cette folle machine administrative et aux individus qui la servent mais celle-ci aura finalement raison de Daniel qui, épuisé physiquement et à bout psychologiquement, finira par s’écrouler, victime d’un ultime malaise cardiaque, alors que sa demande d’appel était sur le point d’être acceptée.


Une tragédie sociale contemporaine


Il y a pour moi dans cette histoire tous les éléments d’une tragédie «classique» (si l’on excepte l’unité de temps) : l’enchaînement des évènements, qui met en jeu protagonistes et antagonistes, révèle une fatalité aveugle, implacable qui nous parait, à nous spectateurs, injuste voire inique. Les différentes étapes de la descente en enfer de Daniel Blake reprennent la structure en actes d’une pièce de théâtre. En choisissant de suivre ainsi la forme tragique, Ken Loach et Paul Laverty n’ont pas une visée esthétisante. C’est bien plutôt ici une catharsis, un sentiment de «terreur et de compassion», qu’il est question de susciter pour provoquer une prise de conscience politique du spectateur face aux dérives et à la violence du libéralisme.


Une préfiguration de ce qui va arriver en France


Ken Loach a voulu dénoncer l’attitude délibérément inhumaine à l’égard des plus démunis, des responsables politiques britanniques des dernières années, consistant à maintenir une certaine catégorie de la population dans la pauvreté et à instrumentaliser l’administration en une machine froide et implacable à faire du chiffre.


Dès 2008, le gouvernement anglais – s’inspirant en cela de théories élaborées aux États-Unis dans les usines Ford dans les années 1930 – a considéré que la maladie ou le handicap n’étaient pas incompatibles avec le travail. Puis en 2010, les Conservateurs procèdent à la privatisation de nombreux services publics et soumettent ceux qui restent dans le giron de l’État aux mêmes normes de rentabilité que ceux passés dans le secteur privé. Le chômeur et le malade sont vite devenus des suspects dans une société faisant la chasse aux prétendus profiteurs du système. Cette brutalité des rapports sociaux bien britanniques, telle que nous la montrent Ken Loach et Paul Laverty, est en fait une conséquence directe de toutes les dérégulations induites par le système libéral. La ligne politique suivie par le gouvernement français actuel tend vers le même but et passe par des mesures semblables : fin des CHSCT, pénalisation des chômeurs jugés trop peu actifs dans leurs recherches, etc.


Nous sommes tous des Daniel Blake en devenir


En décidant d’adapter Moi, Daniel Blake à la scène, j’explore un versant moins reconnu de mon travail d’auteur, de dramaturge et de metteur en scène. En effet, pendant longtemps, je me suis surtout intéressé aux divers sociotypes, aux langues de bois, aux mythologies contemporaines, toutes ces problématiques se concentrant sur la classe moyenne, la plus porteuse des mythologies d’aujourd’hui et elle-même emblématique de notre société libérale. Mais les évolutions économiques la fragilisent et rejettent sur ses marges de plus en plus de monde. L’emploi, dans sa forme traditionnellement stable et protégée, se délite au profit de « missions, de stages » à enchaîner. Le statut d’auto-employeur, popularisé par l’ubérisation de l’économie, masque à peine un retour organisé à une situation antédiluvienne et les grandes conquêtes sociales du XXe siècle sont considérées comme autant de handicaps dans une économie mondialisée.


Daniel Blake n’est pas un sociotype, même si son parcours personnel est emblématique de ce qui reste de la classe ouvrière au Royaume-Uni ou ici en France. C’est avant tout un individu au contour précis… un menuisier, veuf, âgé de 59 ans, vivant à Newcastle. Il a quelques habitudes, quelques amis et voisins… une façon de réagir, de ne pas se laisser faire, une capacité d’indignation. Il y a là une vérité presque charnelle d’un personnage que le cinéma a créé et que je veux respecter.


Adapter sans s’éloigner


Je souhaite rester le plus fidèle possible à la problématique du personnage et à son destin tel qu’il est raconté dans le beau film de Ken Loach.


Il n’est pas question pour moi de modifier le contexte, de transposer Moi, Daniel Blake dans une réalité française en changeant les noms, voire certaines situations.


Le public doit comprendre que ce qui est à l’œuvre aujourd’hui à Newcastle comme dans tout le Royaume Uni est en partie à l’œuvre (et le sera sans doute entièrement demain) dans bien des territoires de notre république.


Je ne retiendrai du film que les personnages et les scènes qui sont essentiels à la progression de l’action dramatique : soit six personnages parmi la dizaine que croise le protagoniste mais qui ont un rapport direct à son destin singulier. Parmi ces six, certains prendront en charge les autres petits rôles du film.


Au niveau scénographique sans opter pour un réalisme vériste qui ne serait ni pertinent ni intéressant au théâtre, je ne souhaite pas pour autant une scénographie trop abstraite mais un espace suffisamment évocateur et vraisemblable afin que le public puisse se projeter dans la réalité sensible des personnages.

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