: Premières notes pour une mise en scène
Mère Courage sera ma première création en tant que directeur du NEST – Centre Dramatique National
de Thionville-Lorraine. Arrivant dans cette région, j’ai été saisi par la présence encore vivante de
l’Histoire, sa permanence palpable, son épaisseur qui s’exprime dans les paysages et le nom des lieux
(l’Etang des Suédois, la Voie Sacrée, Gravelotte…). La présence des guerres d’autrefois (dont la guerre de
Trente Ans) dans la paix d’aujourd’hui crée ici une atmosphère très particulière.
Le choix de monter Mère Courage n’est pas étranger à cette sensation : une histoire qui présente non les
champs de bataille de la Guerre de Trente ans, mais ses alentours, ses lisières ; non les actes décisifs et
les personnages principaux, mais les effets de ces actes et les petites gens qui les subissent sans en
connaître les tenants et les aboutissants, avançant à tâtons dans la nuit de l’Histoire.
De champ de bataille en champ de bataille, de Pologne en Bavière, toujours prête à réaliser une bonne
affaire, Mère Courage s’est installée dans la guerre et fait du commerce pour être une bonne mère, mais
elle ne peut être une bonne mère en faisant du commerce. Mère Courage court les champs de bataille
pour y acheter et vendre tout ce qu’elle peut trouver, munitions, croquenots, poulets, etc. Pour gagner
quelques sous, elle est prête à tout sacrifier.
Avec Mère Courage, je poursuis mon travail de théâtre épique. Brecht reste pour moi notre
contemporain, l’auteur qui a su montrer, dans cette pièce, les contradictions de la guerre civile
européenne, qui trouve dans la Guerre de Trente ans l’un de ses épisodes les plus complexes. Il écrit
Mère Courage la veille de l’invasion de la Pologne et la met en scène au lendemain de la Seconde Guerre
Mondiale, alors qu’une autre guerre menace le monde : la Guerre Froide. Monter Mère Courage
aujourd’hui répond à l’inquiétude d’un monde moderne en crise politique.
Il s’agira d’un Brecht sans manière, sans didactisme lourdaud, dans une simplicité brute et une vitalité
qui s’exprimera dans l’incarnation de notre Mère Courage. Celle-ci aura la quarantaine : pas une femme
si expérimentée que ça, ni roublarde, ni maîtresse de la situation. La voilà au midi de sa vie, déployant
toutes ses forces, tour à tour jeune, sauvage, impulsive, sensuelle, séduisante, féminine, maternelle,
impitoyable, fragile, brutale, amoureuse, blessée : terrienne, concrète, vivante, contradictoire et
touchante, en guerre dans la guerre pour sa survie et celle des siens.
Le personnage de Mère Courage sera joué par Isabelle Ronayette, actrice qui accompagne mon travail
théâtral depuis plusieurs années. En tout, huit acteurs joueront la vingtaine de rôles de cette fresque
épique, affirmant sa théâtralité en montrant les changements de rôles, comme on change de camp,
comme on retourne sa veste ou simplement comme on fait du théâtre… Ainsi Catherine, la muette, celle
qui subit les outrages et les violences de la guerre, et Yvette, la prostituée et profiteuse de guerre d’un
autre genre dont la féminité fascine la jeune Catherine, seront jouées par la même actrice, permettant
de creuser les différences et les ressemblances des deux autres femmes qui gravitent autour de Mère
Courage.
Nous recourrons à une nouvelle traduction : non pas que celles qui existent soient mauvaises (netteté de
celle de Benno Besson, élégance française de celle de Guillevic), mais elles datent. Irène Bonnaud,
traductrice d’allemand et artiste associée au NEST - Centre Dramatique National de Thionville-Lorraine,
cosignera cette nouvelle version avec Christophe Triau, notre dramaturge.
Nous y chercherons une langue plus orale, moins maîtrisée, plus contrastée peut-être ; plus
contradictoire, moins littéraire, plus vivante, plus crue. Nous redéployerons avec Mère Courage notre
théâtre « sonique ». Le compositeur Jonathan Pontier réorchestrera, pour percussions et ordinateurs, la
musique que Paul Dessau a écrite pour Brecht. Il construira en compagnie du sonographe Sébastien
Naves un dispositif de théâtre sonique (amplification et transformation des voix, musique
électroacoustique…).
Celui-ci viendra s’intégrer dans la scénographie de Laurence Villerot, un espace vaste au sein duquel
interviendront, outre la carriole, centrale, des éléments mobiles (maquettes) qui raconteront les douze
ans d’errance de Mère Courage à travers l’Europe dévastée.
Jean Boillot
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