Tout a commencé le jour où la maîtresse, en toute innocence, a dit à Mamadou : « Parle-nous de ta culture ». Sans doute avec la bonne idée de mettre l’élève en valeur. Mais du haut de ses huit ans, Mamadou n’a qu’une seule envie : se fondre dans la masse, passer aussi inaperçu qu’un enfant parmi un groupe d’enfants de la Seine-Saint-Denis, tous pareils, même tête, même combat. Alors quand la maîtresse lui demande de parler d’une culture qu’il ne connaît pas, à part quelques plats (toujours les mêmes, alors que lui n’a de goût que pour le Mac-Do) et des photos du bled, Mamadou voudrait disparaître sous terre, mais pas tout seul, le regard noir qu’il lance à l’institutrice en dit long. Dans la classe de Mamadou, il y a elle.
Elle est blanche, tout comme Sarah, sa soeur jumelle. Elle, elle aurait adoré que la maîtresse lui pose la question, parce qu’elle en a des histoires à raconter sur ses origines. Ça ne se voit pas beaucoup, mais elle est africaine. C’est ce qu’elle se dit. Elle sent qu’elle n’est pas d’ici, qu’il y a eu comme une erreur de livraison de lieu et de peau et depuis toute petite, elle se sent noire. De l’Afrique, elle connaît toutes les images qu’elle s’est fabriquées. Et dès qu’elle a été en âge de lire, elle ne rate pas une occasion d’en apprendre plus sur l’histoire de ce continent et de sa rencontre avec l’Europe. Et à force de fouiller, elle a fini par réveiller quelques vieilles histoires enfouies. C’est comme ça qu’un jour a débarqué dans sa vie le chevalier de Saint- George. Et depuis, elle a décidé qu’on l’appellerait George, en référence au chevalier qui lui donne le pouvoir de s’aventurer dans le monde. Pas sûr que son entourage comprenne. Pas sûr que ses parents apprécient. Pas sûr que sa soeur l’accepte, elle qui voudrait simplement avoir une soeur normale qui ne lui ferait pas honte. Mais George n’est pas là pour faire plaisir à tout le monde. Elle veut qu’on la prenne telle qu’elle est. Mais qui est-elle ?

À cette étape de l’aventure, pour moi, il est surtout question d’envies et de rencontres avec les personnages. Envie d’écrire sur la fratrie, la famille, ce lieu particulier qu’on n’a pas choisi et qui sera le premier microcosme où s’exercera notre rapport au monde. Mais que se passe-t-il lorsque déjà tout petit, on se sent étranger à sa famille ? Lorsqu’on a l’impression, sans pouvoir l’expliquer, qu’on est plutôt d’ailleurs ? A-t-on le droit de se choisir d’autres origines que celles de sa généalogie ?

Gutave Akakpo