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Médée

+ d'infos sur le texte de Jean Anouilh
mise en scène Ladislas Chollat

: Ne pas être oubliée

Le crime de Médée est inexcusable.
Mais sans me faire l’avocat de cette meurtrière infanticide dont l’histoire depuis 2600 ans a traversé les siècles, inspirant de nombreux artistes et notamment les dramaturges depuis Euripide, Sénèque, Corneille jusqu’à Heiner Muller, je crois pouvoir dire que c’est en lisant la pièce de Jean Anouilh que je comprends le mieux son terrible geste.


Comme il l’avait fait dans Antigone, Anouilh, dans sa pièce, rend aux personnages mythologiques leur pleine humanité : ils ne sont plus ici des êtres dont le destin est aux griffes de Dieux qui les récompensent ou les punissent, mais des hommes et des femmes se confrontant à leurs propres limites et empêtrés dans leur liberté face aux choix que leur impose la vie.
C’est bien cette notion de choix qui est au centre de la pièce : le choix d’exercer son pouvoir politique, le choix de devenir adulte et d’accepter de perdre ses illusions, le choix de se résigner à une vie banale plutôt qu’à une vie d’aventure, le choix de refuser la loi et de dire non. Face à toutes ces décisions, Médée avait choisi son cap : la fidélité, à tout prix, à ses idéaux, à ses enfants, à son amour. A lui Jason. Son héros.
Celui qui l’avait sortie de cette enfance gâtée, et qui lui avait donné ces souvenirs dont elle a encore plein la tête.
Celui pour qui elle avait tué deux hommes, dont son propre frère. Celui avec qui il y a encore un jour ou deux elle partageait ce quotidien, cette longue fuite vers un pays rêvé où leurs crimes seraient pardonnés et oubliés. Le père de ses enfants aussi.
Son passé, son présent et donc son avenir.


Cette femme à qui on ordonne de quitter cette terre sans son homme ce n’est donc déjà plus Médée : ce n’est que son fantôme, femme sans racine à qui on a enlevé tout ce qui lui restait. Médée, elle va le redevenir. Pour ne pas être oubliée. Ne pas être effacée, comme on gomme un mauvais coup de crayon, sans laisser de trace.
Pour ce faire, peu de solutions s’offrent à elle.
Elle choisira la plus cruelle : celle de faire vivre à l’homme qu’elle aime la même sensation que celle qui est la sienne depuis qu’elle est quittée. Lui apprendre par cette terrible leçon ce que c’est que d’être abandonné par ceux qu’on aime, cette prison qu’est la solitude.


Le crime de Médée, je l’ai dit, est inexcusable. Mais s’il a tant marqué les esprits, ce n’est peut-être pas tant par son atrocité que par la question qu’il soulève en chacun de nous : derrière le cri déchirant de Médée résonne celui poussé par tous ceux qui un jour sont mis au ban de la société et se trouvent tous seuls, face à eux-mêmes, sans même un Dieu en qui croire et à qui s’adresser.


Et à notre époque où comme dans la pièce, le divin n’occupe plus qu’une faible place, où l’intérêt personnel prime sur tous les autres, où les uns ont tout et les autres rien, où les repères vacillent et où les crimes d’enfants se perpétuent, parfois à deux pas de chez nous, je crois que cette histoire et ses terribles conséquences méritent d’être entendues et montrées de nouveau.

Ladislas Chollat

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