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Mamma Medea

+ d'infos sur le texte de Tom Lanoye traduit par Alain Van Crugten
mise en scène Christophe Sermet

: Note d’intention

Une Medea flamande


Peut-être ne me serais-je pas arrêté au mythe écrasant de Médée s'il n'y avait pas eu cette Medea flamande. Une Médée revisitée, redigérée, rembobinée. Une refonte du mythe antique, plongé dans un bain de contemporanéité. Un croisement électrisant entre mythologie et trivialité. L'intimité d'un destin de femme retourné, l'intérieur vers l'extérieur, étalé au grand jour. Le linge sale qu'on lave en public. Le drame intime qui explose à la face du monde. Lanoye s'amuse à détourner, à tordre la tragédie pour lui donner une forme inattendue, à la dérouter, par endroits, au bord de la comédie. On sent dans cette liberté de ton - mélange d'humour, de poésie et de fulgurance tragique - la recherche d'un rapport privilégié entre scène et salle.


Une pièce de l'unité impossible à accomplir


Mamma Medea est bâtie sur une faille, fendue entre une première partie épique, en mouvement (le temps de la jeunesse et de l'action irréfléchie), et une seconde partie, immobile et lancinante, qui reprend la trame euripidienne connue. Les fureurs et atermoiements qui mènent immanquablement au pire. Une espèce de Médée totale, forcément scandaleuse, forcément monstrueuse, et sublime, forcément sublime... comme disait Marguerite Duras, dans l'affaire Grégory.


Aucun besoin de se référer à un fait divers en particulier. Le mythe se suffit à lui-même, il les contient tous.


Plutôt que d'aller vers le particulier, la pièce propose d'embrasser tout le mythe. De repartir à zéro en faisant un rewind aux origines. Explorer ce qui doit rester de l'ordre du sacré et ce qui doit être ramené sur le plancher des vaches du contemporain. Une vieille question d'équilibre impossible entre rationnel et irrationnel. L'essence du théâtre. Permanente oscillation entre triviale ironie et drame intime. Une écriture aigre-douce, où le tragique affleure constamment et se trouve régulièrement battu en brèche par le grotesque ou la comédie. Directe, baroque et implacablement violente. Une écriture déraisonnable, qui explore le pouvoir dévastateur de la passion, de la pulsion trop (in)humaine. Une pièce coupée en deux, fendue, à tous points de vue et dont les motifs seraient la scission, la discontinuité, la fracture...


Unis pour le meilleur et surtout pour le pire.


Pour conquérir la Toison d'or, Jason doit franchir une faille, passer du côté sauvage, en territoire barbare. Il pensait le faire brièvement, le temps de parvenir à ses fins. Pragmatique, il accepte de revêtir le costume des barbares et d'ainsi tirer profit de leurs coutumes, à travers Médée et sa magie. Il flirte, au propre et au figuré, avec l'irrationnel.


Mais ce flirt a un prix. Il ne le sait pas encore. Le costume lui collera à la peau, il n'est pas facile à retirer. Un peu de barbarie lui est indispensable pour réussir sa fuite. Mais elle déteindra sur lui. Plus tard il croira s'en laver définitivement en regagnant la civilisation par le mariage avec la jeune princesse, au prix de la trahison de Médée. Mais en partageant avec lui l'assassinat des enfants, Médée l'arrache à la civilisation le fait repasser de son côté, du côté sauvage.


Jason & Médée c'est aussi un deal : « Je t'offre ma magie, tu m'emmènes avec toi. »


Lanoye déplace le centre de gravité tragique de la seule Médée sur le couple Médée & Jason. Deux antipodes, dont la fusion n'a pu se faire que dans le crime. L'histoire d'un couple marié dans le sang bien avant l'étape suivante : les enfants. Destruction avant procréation. Une tragédie de couple, qui porte le germe de toutes les guerres civiles. La pièce se sert du mythe public de Médée & Jason pour alimenter la mythologie intime du couple qui se déchire sous nos yeux et qui devient n'importe quel couple. Il part du plus large, de l'espace infini de la mythologie - de l'épopée - pour terminer au coeur de l'intime, du huisclos familial. L'ampleur du geste tragique se perd au profit d'un combat rapproché, un corps à corps serré.


Médée jouera son rôle jusque au bout. Figure sortie de la nuit des temps, perdue dans une pièce contemporaine. Elle devra partager son crime avec Jason. Chacun se charge d'un enfant. C'est plus froidement monstrueux mais moins tragiquement antique. Médée a perdu quelque chose sur le chemin de la modernité. La tragédie ne serait plus qu'un drame, ayant perdu de sa dimension politique. Le couple, dernier territoire tragique ?


Rewind


A la fin, Mamma Medea n'est plus mère. Pas plus que Papa Jason n'est père. C'est un retour en arrière à l'état d'avant. Un rewind brutal. Mais la dernière scène, celle de la cigarette qu'ils fument après le meurtre n'est plus de l'ordre de la tragédie, qui s'est comme perdue en route. Remplacé par un drame froid et contemporain. La dernière baise d'un couple qui sait que tout est fini. Que le couple est mort, que la tragédie s'est perdue. Jason et Médée sont tous deux destitués de leurs rôles respectifs de tragédiens et rendus à la vraie vie. Au contemporain.


L'exploration d'une tragédie perdue sur le chemin du théâtre contemporain. Ne dit-on pas que toute société a les tragédies qu'elle mérite ?

Christophe Sermet

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