: Note d'intention de l’auteur
A l’origine du projet...
Tout part d'un livre que j'ai lu il y a quelque
temps.
Je l'avais acheté à cause de sa couverture, un
tableau représentant un pirate assis sur une
plage dans une position d'affliction, et de son
sous-titre : L'odyssée de la Bounty.
Sur la quatrième de couverture, il était écrit que
ce livre "évoque l'aventure de cette poignée de
révoltés qui, maîtres du navire, gagnèrent l'îlot
de Pitcairn, perdu au fin fond du Pacifique Sud,
pour se mettre à l'abri de la justice des hommes.
Quinze hommes et douze femmes, Blancs et
"Indiens" liés par le même destin, se réfugient
donc, un beau jour de 1790, sur ce rocher désert
et y fondent une minuscule république. Leur
chef, Fletcher Christian, acquis aux idées nouvelles,
entend partager équitablement la terre et
traiter Blancs et Indiens sur le même pied. Il lui
faudra admettre qu'il s'agit-là d'un rêve - lequel
ne tardera pas à se transformer en cauchemar…[
le] récit, pour incroyable qu'il soit, ne se
fonde que sur la réalité la plus exactement repérée".
J'ai pensé à ces hommes et à ces femmes,
Blancs et Tahitiens qui, partis pour inventer une
nouvelle manière de vivre ensemble, s'étaient
entretués.
Ces hommes et ces femmes qui, en même
temps qu'ils se donnaient la mort, donnaient la
vie à des enfants. De ce chaos originel était née
une forme inédite de communauté.
J'ai pensé aux enfants de ces hommes et femmes,
qui avaient vu leurs parents s'entretuer et
me suis demandé quel héritage Blancs et
Polynésiens, hommes et femmes, leurs avaient
laissé. Et je me suis dit qu'il y avait là, la matière d'un spectacle.
Mais pas d'un spectacle pour enfants ou d'une
adaptation du livre Pitcairn que je venais de lire,
plutôt un spectacle traversé par la question de la transmission.
Qu'ont vécu ces vingt-sept hommes et femmes
sur ce minuscule bout de terre à l'autre bout du
monde ? Qu'ont-ils raconté à leurs enfants des
tueries qui se déroulaient sous leurs yeux ?
Et comment une histoire réelle, des faits sanglants
se sont-ils transformés en un mythe
fondateur de l'identité de cette microsociété ?
A la recherche d'un récit des origines
Partout les humains inventent des "communautés
imaginaires" qui s'appuient sur des
frontières symboliques et s'alimentent de récits
d'origine, de héros fondateurs et de signes
d'appartenance.
Dans le cas de la population de Pitcairn, il y a
bien des héros fondateurs (les mutins et leur
leader Fletcher Christian) et un récit d'origine.
Et ce récit nous vient d'une seule et unique
personne : John Adams, dernier mutin survivant,
qui a fait plusieurs récits aux capitaines
de vaisseaux venus sur l'île entre 1808 et
1829. Ses différentes versions ont sans cesse
évolué, révélant ainsi une vérité chaque fois
plus complexe.
C'est ainsi parole d'évangile que nous transmet
Adams, devenu patriarche, à la fois dernier
et premier homme de cette communauté.
Mais quelle foi peut-on accorder à un
Evangile ?
N'y aurait-il pas des apocryphes ?
N'y aurait-il pas plusieurs vérités qui se superposent,
se croisent ou s'entrechoquent ?
Quelle est la vérité des autres hommes ? Des
autres Anglais ? Et celle des Tahitiens ?
Il va falloir inventer la vérité ; il va nous falloir
inventer une histoire pour approcher la vérité
et ainsi la transformer en réalité.
N'est-ce pas là l'objet du théâtre, mentir pour nous dire la vérité ?
Un processus de création…
Ce projet n'est pas l'histoire d'une pièce écrite que je voudrais monter, mais bien le projet de vouloir faire théâtre à partir d'une histoire.
J'ai commencé à me documenter sur l'histoire
des premiers contacts entre Blancs et
Polynésiens au XVIIIe siècle, sur la culture océanienne
traditionnelle, sur l'histoire de l'île de
Pitcairn.
Je suis allé sur internet, j'ai trouvé des sites, des
livres, j'ai envoyé des mails à des historiens, à
des anthropologues, des sociologues. Certains
m'ont répondu, m'ont envoyé d'autres textes, j'en
ai rencontré…
Mais une découverte en entraînant une autre, je
rencontrais une histoire universelle et je me suis
retrouvé avec la Bible, les mythes grecs mais
aussi avec l'histoire de la colonisation, de la guerre
des sexes ; à partir de l'histoire de ce bout de rocher, j'ai rencontré l'histoire du monde.
L'île-salon d'un Robinson
Mais pour cela, il fallait mener l'enquête pour
savoir ce qui a réellement pu se passer au cours
des dix-huit années (1790-1808) d'isolement
total : qui a tué qui ? Quand ? Comment ?
Pourquoi ?
Celui qui va donner les résultats de l'enquête, le
narrateur, est seul sur le plateau. Il essaie de
monter un projet sur les révoltés du Bounty tout
en étant aux prises avec son rôle de père, divorcé.
Tout va se dérouler depuis le salon du narrateur.
Si l'île est le lieu imaginaire de toutes les utopies et de tous les enfermements, un salon peut aussi être l'image de la psyché du narrateur, son île et le huis clos de sa propre solitude.
Et si l'acteur est seul sur le plateau, le narrateur,
lui, est dans son salon accompagné de nombreux
personnages, réels ou imaginaires, avec
lesquels il entretient une relation : sa mère, son
ex-femme, sa fille, son ami, mais aussi les
mutins, leurs compagnes et compagnons. Et
Marlon Brando. Et peut-être d'autres encore…
On va découvrir les liens insoupçonnés entre
l'histoire d'hommes et de femmes du XVIIIe siècle
sur un minuscule bout de la planète et celle d'un
homme du XXIe siècle sur un bout encore plus
petit, un plateau de théâtre.
Et l'origine de ces liens vient du fondement originel
de notre relation à l'Autre ; qu'on soit un marin
anglais ou une Tahitienne du XVIII, un homme
du XXIe, on n'échappe pas à ce constat : l'Autre
n'existe que par rapport à soi. On ne perçoit
l'Autre qu'à partir de ses propres catégories de
pensées et de représentations, en l'assujettissant
à son propre désir.
De cette rivalité mimétique naissent tous nos
malentendus : ceux entre Blancs et "Indiens",
ceux entre hommes et femmes, ceux entre
parents et enfants.
Et les conséquences en sont plus ou moins tragiques…
Ce spectacle sera l'histoire d'un homme qui va raconter une histoire désenchantée du monde pour le réenchanter et qui, entre recherches historiques et fantasmes, rêves et réalité, va se heurter à ses propres illusions et réaliser une quête beaucoup plus intime et enfouie qu'il ne le croit.
Sébastien Laurier
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