: Une tragédie naturaliste ?
August Strindberg (1849-1912) écrit Mademoiselle Julie en 1888. Il intitule sa pièce Une tragédie naturaliste. La littérature
romanesque suivait depuis une vingtaine d’années le mouvement naturaliste initié par Émile Zola, dont
Strindberg se sentait très proche.
Le théâtre à son tour venait de s’inscrire dans ce courant. André Antoine (1858-1943), l’inventeur de la notion de
metteur en scène (et de l’expression « avant-garde » appliquée à l’art), avait créé en 1887 à Paris le Théâtre Libre.
Le naturalisme faisait alors son apparition sur scène. Il s’agissait de donner au spectateur l’illusion d’assister à une
« tranche de vie ». Antoine a révolutionné l’art théâtral : décors et accessoires réels, obscurité dans la salle, importance
de la gestuelle et de l’intonation réalistes, et surtout répétitions minutieuses. C’est à Paris en 1893 que fut
créé sur scène Mademoiselle Julie. Les tentatives antérieures, au Danemark (1889) et en Allemagne (1892), ayant
été censurées. Les thèmes de la pièce, sa liberté de ton (la potion abortive que prépare Kristin, ou affirmer que Julie
a ses règles, par exemple), étaient jugés scandaleux.
La pièce s’accordait parfaitement avec cette nouvelle approche théâtrale. Presque simultanément, le mouvement
symboliste est apparu sur la scène du théâtre. Nourri par la découverte de l’inconscient, par une forme d’abstraction
déjà présente dans la poésie, il tirait parti notamment de la lumière électrique pour créer des ambiances évocatrices
des états intérieurs des personnages. Aurélien Lugné-Poe (1869-1940), un des pères du symbolisme, mit
en scène la pièce en 1894 à Paris au Théâtre de l’OEuvre. Encore une fois, le texte se révélait adapté à cette nouvelle
pratique théâtrale.
Mademoiselle Julie fut créé en Suède en 1906. Depuis, elle n’a pas cessé d’être jouée dans des esthétiques très diverses.
On peut s’interroger sur la qualification de « naturaliste » que Strindberg a souhaitée pour sa pièce. Sans doute
signifiait-elle pour lui « vérité psychologique », car son projet était de transcrire dans une problématique sociale
les méandres du désir amoureux, et de démontrer que « l’âme est faite de bric et de broc », comme il l’écrit dans
sa préface. C’est parce qu’elle atteint une forme d’universalisme, bien au-delà du contexte suédois du XIXe siècle,
que Mademoiselle Julie a pu s’inscrire durablement dans le répertoire théâtral mondial, au point d’être aujourd’hui
l’une des pièces les plus souvent jouées.
Benoît Résillot, dramaturge
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