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Macbeth

+ d'infos sur le texte de William Shakespeare traduit par Yves Bonnefoy
mise en scène Anne-Laure Liégeois

: Note d’intention

Prendre Macbeth dans ses mains et se dire : maintenant c’est celui-là, celui-là parmi tous les textes de théâtre, celui-là parmi tous les élisabéthains et jacobéens, qui comme Marlowe et Webster ont su m’apporter bonheur de texte, réflexion et plaisir quand je les ai vus remplir un plateau de théâtre ; celui-là si âpre, accroché à notre préhistoire, au temps de la boue et du corps à corps, prendre Macbeth dans ses mains, ce n’est pas une histoire légère.


Macbeth s’inscrit dans une aventure commune : celle de ceux qui un jour se sont mis face à cette réflexion intense sur le pouvoir, la mort et l’amour. Ça fait un poids sur l’estomac, comme les cauchemars, brise quelques nuits, comme les cauchemars, ou les rêves trop intenses. Cette inscription, pour quelques instants, dans le temps, dans l’histoire du théâtre, est un coup dans la chair. Comme quand on veut que reste une petite cicatrice. Un coup dans la terre, comme un sillon creusé que l’on ne veut voir disparaître qu’avec des pluies répétées et diluviennes. Dans cette entaille, on sait que ce que l’on va trouver c’est soi et c’est l’être. Ça ne fait pas peur, ça provoque ! Cette période de fouille, même si elle est impliquante de corps et d’âme –mais pas plus, je crois, que toute mise en chantier d’un texte- est enivrante et de toutes façons inévitable. On sait que dans une vie on n’explorera qu’un nombre défini de textes de théâtre, que chaque choix doit être porté par un désir incontournable. Macbeth fera partie de ceux-là.


Un cauchemar


La main droite agrippée au niveau de la tempe à une poignée de cheveux, la main gauche aux ongles plantés dans le haut du crâne ; les yeux écarquillés sur un présent terrifiant et le regard tendu vers un avenir non moins effrayant. Le tableau de Courbet, un autoportrait en Désespéré. Macbeth est ce désespéré qui rêve les yeux ouverts dans ses nuits sans sommeil. Tout se crée, se forme dans cette tête.


On a souvent dit que Macbeth était un cauchemar. Partir de ce mot. Le cauchemar appartient au plus intime. À soi perdu dans la nuit, avec l’esprit pour seul guide. Macbeth se joue dans le crâne de Macbeth. Tout dans la tête. C’est seulement dans la tête que siègent les cauchemars. Pas dans la vie. Dans la vie un cauchemar a un nom. Il s’appelle un accident, un crime, un drame, un cataclysme. Si Macbeth est un cauchemar c’est parce qu’il est une oeuvre de l’esprit, appartient au monde du rêve. Une œuvre des recoins sombres, des couloirs tortueux du cerveau. Le cauchemar intime, privé, d’un homme qui croit que le pouvoir est là, à portée de sa main. D’un homme dévoré par le désir, épuisé par ses passions. Macbeth se bat dans le vide contre ses démons, ceux qui quand ils l’ont tué, le portent, l’exposent au rire et à la vindicte. Toute cette lugubre folie est sortie d’un crâne malade, de celui d’un homme qui un jour a cru comprendre que « c’était arrivé ». Tu seras roi ; tu seras le plus grand ; tu seras le chef de ce vaste consortium, tu seras ce que tu te bats pour être. Désir qui tue le sommeil et plonge dans une insomnie faite de sombres fantasmes. Macbeth a tué son sommeil et erre dans l’entre deux, celui du chien et du loup, du songe éveillé. Un entre deux peuplé de cauchemars à l’apparence d’animaux, porc, rat, corbeaux, salamandre, vipère, babouin... de fantômes, d’objets volants, d’arbres qui marchent, de milliers d’enfants, d’esprits... Ces êtres immatériels, ces petits processus mentaux, qui volètent dans la tête dérangée. Macbeth confond les apparences avec la réalité, voilà l’illusion. Voilà le théâtre. Ce qu’il perçoit n’est que la projection de ses désirs exacerbés. De cet aveuglement, de ces déformations, Shakespeare joue. Voilà la tragédie.


À l’âge de la maturité, Macbeth a forgé dans son esprit, l’idée, parce que sa valeur est reconnue par lui et par les autres, que la puissance est pour tout de suite. Sa femme, son double féminin, croit en cette puissance par intérêt pour lui et pour elle-même. C’est un monstre à quatre bras et quatre jambes qui va courir vers la puissance. Dégageant de son chemin tout ce qui l’encombre.


Un cauchemar peuplé d’enfants


D’abord les enfants, ces foules d’enfants qui de toutes parts tentent de s’emparer maintenant de ce qui devrait aujourd’hui appartenir aux Macbeth. Fléance , Malcom, Donalbain, le fils trop intelligent de Macduff, Siward, les enfants à tête casquée, ensanglantée, tenant dans la main un arbre, les enfants morts dont on met les doigts dans le bouillon des sorcières. Chez ce couple sans enfant, vieillissant, naît la peur, la répulsion de cette jeunesse qui pousse pour prendre la place. Entourant le couple de comédiens de quarante ans (Anne Girouard et Olivier Dutilloy) une infinité de jeunes comédiens, peut-être même encore des enfants, bouillonnants, trépignants, prêts à tous les combats. Ceux qui poussent derrière, qui crient « laisse-moi la place, ma place maintenant ! ». Tous des ennemis ; Macbeth finit seul.


Dans le cauchemar de l’homme épris de puissance, du couple sec : la jeunesse qui attaque.


Peuplé de figures à abattre


Dans le cauchemar, les figures à abattre aussi : celle du père, injuste inévitablement, qui prend et aussi donne généreusement. Il passe le pouvoir au fils légitime, préféré, mais sans valeur car trop jeune encore, Malcolm, et donne (seulement) la puissance au « fils » valeureux : Macbeth fait Cawdor. Duncan, le père à abattre.


Banquo, l’ami, la parole positive, la voix de la raison, l’ange bienveillant, celui qui cependant susurre des justes paroles encombrantes. Banquo dont l’avenir désigne la descendance comme seule dirigeante. Banquo, l’ami à abattre.


Macduff, moins lâche que soi, celui qu’il aurait pu être, celui qui n’hésite pas à abandonner son foyer pour la justice de son combat, celui sans attache sensible au monde, car non né d’une femme, l’envers de soi. Macduff, l’autre soi à abattre.


Habité par la femme


Et puis après ces enfants en trop grand nombre, cette figure à trois têtes désignée pour l’abattoir, dans la boîte crânienne de Macbeth, imprimée sur chaque paroi : l’image de la femme comme double de soi. Lady Macbeth qui même morte restera là, accrochée à la chair, aux entrailles de l’homme qu’elle aime. Macbeth traînera sa dépouille sur les champs de bataille. Quand aux derniers moments de cette existence pitoyable son esprit malade inventera des forêts qui marchent et des hommes nés de ventres ouverts et non de sexe de femme, il la portera encore en lui, sur lui. Lady Macbeth est une virago en flammes. Elle est homme quand il est femme. Femme quand il est homme. Elle interprète la virilité, croit que l’essence de l’homme consiste dans le désir brutal, la force déchaînée. Macbeth capitule devant son hystérie violente, elle déplace tous les repères sexuels. Les siens, les nôtres. Veut renoncer à toutes les vertus de sa féminité : elle appelle à être absolument sans son sexe. Elle est fiancée de Barbe Bleue frottant ses mains, ombre errante de François Couperin. Elle est rêve, cauchemar de Macbeth.


Une bouffée d’air au milieu de ce cloaque, de ce marasme, de tous ces mots en « a » ouvert comme un cri : ce couple et son combat « pour y arriver ».


Olivier Dutilloy et Anne Girouard sont un couple de combattants ! Ils se sont battus dans l’Augmentation de Pérec pour obtenir une augmentation, ils se battront pour obtenir le pouvoir, pour être le chef ! Ne pas résister au plaisir de rire par empathie de nos travers. Ce couple aura aussi le risible d’un couple où l’un des deux manipule l’autre en vue d’assouvir des désirs propres, où l’un est piégé, puis piège l’autre. Dans ce nœud, comme on peut parler de nœud de vipères pour ce couple enchevêtré, résidera la bouée qui saura dire que l’enfer, le cauchemar, c’est aussi le couple. Le sommet de la pyramide sera peut-être l’amour ? Comme la mort était celui de la Duchesse de Malfi, et le pouvoir, celui de Edouard II. L’amour peut-être dirigera Macbeth...


Anne-Laure Liégeois, le 30 octobre 2012. 367 jours avant la première répétition.

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