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Mephisto Rhapsodie

+ d'infos sur le texte de Samuel Gallet
mise en scène Jean-Pierre Baro

: Notes de Jean-Pierre Baro

Quelques notes sur Mephisto (Rhapsodie), l’art et la politique, et la fragile résistance

  • Nous qui avons vécu la montée du fascisme, nous nous vîmes une fois encore replongés dans cet état des commencements, sournois, indéfinissables.
  • Peter Weiss, L’esthétique de la résistance
  • Le succès, cette sublime, irréfutable justification de toutes les infamies.
  • Klaus Mann, Mephisto
  • Refrain politique, abominable refrain ? » Vieux pro-verbe allemand, vieille erreur allemande. Comme si la politique était – devait être – autre chose que la planification et l’organisation de la vie collective des êtres humains ! Et comme si l’art pouvait exister en dehors du contexte social, flottant dans le vide, autonome et indifférent ! Mais même à supposer que l’art et la politique n’aient effectivement rien à voir l’un avec l’autre, qu’en est-il de l’artiste ? Il n’est tout de même pas qu’un paquet d’énergies créatrices, il n’est pas exclusivement l’instrument de l’inspiration divine. Il est aussi, entre autres, un être humain et un citoyen, soumis aux mêmes lois que ses contemporains les plus ordinaires. Si un ténor se fait prendre à voler des petites cuillères en argent, il aura probable-ment affaire à la police. Un poète qui fait de la fausse monnaie ou qui viole et qui tue sera traité en criminel, quelle que soit l’originalité de ses vers. Et quand un artiste de talent, voire de génie, fait cause commune avec des bandits politiques, il devrait s’en tirer ? Les dirigeants et représentants de la culture ont-ils le droit de s’allier impunément à l’ennemi mortel de la culture ? Les génies peuvent-ils tout se permettre en matière politique ? »
  • Klaus Mann, art et politique, in Contre la barbarie, 1925-1948, éditions Phébus, page 428-433

Montée des extrémismes, banalisation des discours racistes, crise économique, replis identitaires, autoritarisme, appels répétés à la grandeur et à la pure-té nationale, mépris du débat d’idées et haine de la démocratie, ressentiment, hargne et colère, attrait obscur pour la catastrophe..., l’Europe actuelle se retrouve fortement hantée par le spectre de son histoire fasciste. La comparaison régulièrement faite entre le contexte actuel et l’Allemagne des années 30, a de quoi nous interpeller.


Si la séquence historique que nous traversons ne peut être calquée sur celle de la République de Weimar – l’Histoire bégaie mais ne se répète jamais à l’identique -, si la période qui s’ouvre ne s’inscrit pas dans les mêmes enjeux politiques, cette époque du début des années 30, minée par le dégout d’elle-même, hantée par la destruction, le désir de vengeance et la grande catastrophe, impuissante à empêcher l’horreur d’advenir, pourrait peut-être nous permettre de questionner la nôtre. Quels rapports entretenons-nous aujourd’hui avec la catastrophe, avec le fascisme, avec l’indifférence ou avec, comme l’évoque l’historien Patrick Boucheron, notre propre fascination pour la tyrannie ?


En retraçant l’itinéraire d’un artiste avide de gloire dans une société allemande gangrénée puis dévorée par le nazisme, en s’inspirant de la figure du grand ac-teur allemand Gustaf Grüdgens qu’il a très bien connu, Klaus Mann dans son roman Mephisto nous plonge au cœur de la question des liens qu’entretiennent l’art et le pouvoir, le théâtre et l’État, la politique et les artistes, et plus largement, nos propres existences avec le compromis.


S’inspirer de ce roman, de la figure ambigüe de Gus-taf Grundgens, des combats que Klaus Mann a mené toute sa vie jusqu’à l’épuisement et le suicide, de ses articles dans Contre la Barbarie où il raconte ses entrevues avec les artistes ayant continué à travailler sous le Troisième Reich, nous conduit immanquablement à nous interroger sur l’époque contemporaine, sur les liens qu’entretiennent aujourd’hui l’art et la politique, sur nos propres points aveugles et sur la figure de l’artiste prise souvent dans une schizophrénie entre amour revendiquée de la justice et de l’humanité et course à la gloire effrénée dans l’ultra concurrence capitalisme.


Jusqu’où sommes-nous capables d’aller pour éviter que la politique ne vienne contrecarrer nos plans, pour atteindre ce que nous nous étions promis d’atteindre ? Une place, une position, une respectabilité, un rêve ? Qu’est-ce que nous acceptons de ne pas voir, de ne pas dénoncer pour pouvoir mener nos affaires au mieux ? Pour être préservé du sort anonyme des masses ? Quelle est la nature de ces compromis honteux que nous cessons de passer avec notre époque ? Pouvons-nous prétendre réellement combattre et subvertir un système de l’intérieur ? Quand ce système est de plus en plus rigide, répressif, autoritaire ? A partir de quand faut-il s’enfuir, prendre une autre voie, aller ailleurs, extravaguer ? L’Art et la Culture sont-ils, comme on le dit beaucoup aujourd’hui, des remparts contre la Barbarie ?


Mephisto (Rhapsodie) tente de déjouer les évidences, de critiquer la paresse de pensée qui nous fait parfois croire que nous ne participons pas de ce qui détruit un monde. Car il s’agit sans doute de travailler la mauvaise conscience d’un temps, d’interpeller ce pays où nous sommes, d’y évoquer le sentiment de relégation ressenti par beaucoup pour appréhender le terreau sur lequel naissent les catastrophes. Mephisto (Rhapsodie) parle aussi du doute de ce que peut le théâtre à l’heure des périls, de ce que signifie le théâtre dans un monde de la production effrénée et de l’urgence permanente, questionne la puissance ou non de ce que nous faisons, la nécessité et la vanité de ce que nous faisons, l’engagement et le sentiment d’impuissance face au bulldozer de l’Histoire qui arrive, et tente de venir interpeller les forces mêmes qui nous fondent, nos fragiles mais nécessaires résistances à ce qui nous détruit.


Mai 2018

Jean-Pierre Baro

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