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Lune jaune

+ d'infos sur le texte de David Greig traduit par Dominique Hollier
mise en scène Baptiste Guiton

: Entretien avec Baptiste Guiton

réalisé par Audrey Hadorn

Pourquoi avoir choisi de mettre en scène Lune Jaune, La Ballade de Leila et Lee de David Greig ?


J’ai découvert Lune Jaune dans la perspective d’une réalisation radiophonique pour France Culture. À la manière d’un fait divers, cette pièce est le témoignage d’une épopée adolescente aux circonstances tragiques. Leila et Lee, tandem improbable, sont des figures précaires, isolées dans une société insuffisante : entre éclatement familial et bourgeoisie surannée, les deux adolescents vont fuir, à la suite d’un meurtre non prémédité, l’avenir douteux et délétère qui leur est promis. J’ai été immédiatement saisi par le traitement de la question identitaire : Où va-t-on quand on ne sait pas d’où l’on vient ? Personne n’est à sa place dans cette histoire, et on ne fait de place pour personne – situation passionnante à mettre en scène au de- meurant. Lune Jaune fait la lumière sur ces oubliés, adolescents violents ou mutiques, parents dépassés ou carrément absents. Ce sont des bouts de littérature juxtaposés : Oreste tuant son beau-père, Hamlet s’interrogeant sur le fait d’être ou de n’être pas, Ophélie se laissant couler sous les eaux. C’est un texte d’une richesse inouïe, mêlant l’ordinaire et le mythe, le profane et le sacré, la culture et la nature.


Qu’est-ce qui vous a séduit dans l’écriture de David Greig ?


La pièce est peu distribuée, c’est un poème choral dans lequel David Greig n’identifie pas toujours le narrateur. Les acteurs racontent autant qu’ils interprètent leurs personnages, sollicitant constamment l’imagination du spectateur. Ce théâtre-récit exclut toute dimension réaliste, il confère à l’histoire un caractère mythique ; dès lors l’espace de jeu devient un terrain de jeu, dans lequel la fiction est convoquée pour affronter le réel, et parfois le sublimer.


Comment parvient-on à se saisir au théâtre et sur scène des problématiques de la marginalité et de la condition sociale, telles qu’elles sont abordées dans le texte de David Greig ?


J’aurais tendance à penser que c’est là une des fonctions premières du théâtre. Cela étant dit, le terme «ballade» est à définir, il est utilisé dans l’univers de la musique populaire rock pour désigner un morceau calme et doux dans lequel la ou les voix sont accompagnées d’instruments acoustiques. Il ne s’agit pas d’un docu-fiction sur la marginalité, mais d’un poème, d’une longue chanson, d’un concert presque, comme si Jeff Buckley et Léonard Cohen s’étaient passés le mot pour nous parler de deux gosses aussi détestables qu’attachants. Et il faut de l’humour aussi, c’est signe de bonne santé !


Lors de votre première mise en espace du texte, vous avez choisi de faire du plateau un espace déroutant, esthétique et épuré, que vous comparez à une « terre rituelle ». Quel rite se joue dans Lune Jaune ?


C’est une sorte de rite régressif. On passe concrètement d’une ville à une grotte. Les espaces mentionnés par David Greig dans la pièce sont réalistes, cinématographiques presque, mais ce sont surtout des signes, des symboles à mon sens. Un supermarché, dans lequel il est possible d’acheter de quoi s’enivrer ou de quoi s’évader – se quitter - un cimetière où l’on se défait du passé – où l’on mue - un lac qui absorbe les illusions – où l’on renaît : Lune Jaune explore ce passage entre l’adolescence et l’âge adulte, le passé est exhumé, les désillusions sont acceptées. Nous avons constitué un espace métonymique, qui se transforme, se modèle, se façonne, un espace antinaturaliste : c’est moins le milieu qui influe sur l’être, que l’être qui lutte pour une perception plus élevée du monde.


Souffles, Le Groenland et Nina, c’est autre chose, sont vos précédentes créations, y a-t-il une continuité, dans les thèmes abordés et dans une certaine vision du monde, avec Lune Jaune ?


Les oubliés. Et cette dissidence qui les habite. Je souhaite interroger la contrainte, et la lutte nécessaire au sentiment d’humanité. Alain Badiou pense le théâtre comme «la forme esthétique de la fraternité» dans son Éloge de l’amour, ces quelques mots jalonnent mes lectures et conditionnent mes choix.


Comment se passe votre processus de création avec votre collectif artistique ?


L’exaltation qui nous meut est celle d’un théâtre de métiers. J’aime à penser que nous sommes un théâtre en plus petit (acteurs, costumières, dramaturge, administrateurs, compositeurs et musiciens, scénographe, éclairagiste, régisseur son, régisseur général, constructeur, metteur en scène). Nous ne jouissons d’aucun lieu mais nous bâtissons la représentation théâtrale ensemble. Nous travaillons collectivement à chaque instant de la création. Toute l’équipe est présente, et chacun influence l’autre, l’enrichit et le contraint, en amont et pendant les répétitions. Nous cherchons la cohérence d’une représentation où tout s’imbrique. Je ne sais pas faire de la mise en scène seul. Nous sommes peut-être un collectif de metteurs en scène finalement.

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